Photo : Fernand Miron

La cueillette de champignons sauvages et le mycotourisme génèrent 65 M€ en Espagne. Patrick Lupien et différents intervenants ont visité ce pays et en sont revenus avec la ferme volonté de développer la même filière au Québec. Place à la Mauricie!

Dynamique, la Filière mycologique de la Mauricie se penche sur différents dossiers. Par exemple, elle a effectué récemment une recherche portant sur une technique révolutionnaire permettant de déceler la présence de champignons forestiers sans même qu’ils soient visibles. En effet, à partir d’échantillons de sol, il est maintenant possible, grâce à une technique basée sur l’identification par marqueurs moléculaires (ADN) des champignons, de révéler la présence de chanterelles communes et d’armillaires ventrus. 

Assise sur une bombe

L’industrie du champignon sauvage est constamment assise sur une bombe, celle d’un empoisonnement mortel. Fernand Miron conseille aux apprentis cueilleurs d’être certains de l’identification du champignon. « Des gens qui se disent connaisseurs mettent parfois les mauvais noms sur des champignons sauvages. Avant d’en manger, il faut être sûr, et ce, en demandant l’avis de gens reconnus. » Les membres d’expérience des clubs de mycologie représentent une bonne source d’information, mentionne M. Miron. Ce dernier prêche également pour une centralisation des cueillettes vers les ateliers de conditionnement présents ici et là au Québec. Un personnel qualifié pourrait s’assurer que l’ensemble des espèces cueillies et vendues au public soit sans risque.

Deux livres plutôt qu'un

La Filière mycologique de la Mauricie et le biologiste Fernand Miron n’ont pas chômé : ils viennent de mettre en vente un guide intitulé Champignons comestibles de la Mauricie – Habitats. Cet ouvrage est décrit comme un livre « intelligent », puisque le lecteur peut balayer avec son téléphone le code 2D du champignon de son choix et avoir ainsi accès à une banque imposante de photos et de renseignements supplémentaires via le www.mycomauricie.com. Ce site Internet sur les champignons sauvages est présenté comme l’un des plus complets au Canada. Novateur, il offre même de l’aide en ligne.

Deux ouvrages sur les champignons sauvages lancés en 2015, dont celui de droite, qui se démarque par des techniques de culture visant à augmenter les revenus en forêt.

« Si les gens demeurent craintifs en ce qui a trait à l’identification des champignons, ils peuvent prendre des photos et les envoyer à nos experts », indique Patrick Lupien, coordonnateur de la Filière, spécifiant qu’il faut plusieurs photos pour identifier un champignon (extérieur, coupe transversale, etc.).

Et parce que la Mauricie comporte différents peuplements forestiers, on nous assure que le guide et le site Internet sont aussi destinés aux producteurs des autres régions du Québec. L’imprimerie n’a pas eu le temps de refroidir ses presses que l’impression d’un deuxième bouquin est lancée ces jours-ci : Culture des champignons sous couvert forestier. Cet ouvrage de 158 pages encourage l’innovation. « Certaines méthodes culturales fonctionnent déjà très bien, alors que d’autres sont encore en développement. Pour progresser rapidement, nous avons décidé de partager tout de suite les méthodes efficaces avec les gens, et dans quatre ans, nous publierons un deuxième tome sur ce qui aura été découvert entre-temps », explique Fernand Miron.

À vrai dire, des essais sont actuellement menés chez une vingtaine de propriétaires de boisés afin de développer des techniques simples, faciles et, surtout, qui assurent des résultats probants en ce qui concerne la culture des champignons sous couvert forestier. « Nous voulons que le producteur réussisse, qu’il puisse tirer un salaire de la production de champignons forestiers », précise M. Miron. L’une des techniques proposées consiste à badigeonner de la semence liquide sur l’extrémité de bûches. Une autre concerne la culture sur bran de scie ou sur copeaux de bois dans des plates-bandes aménagées en forêt. Le livre sera coédité et distribué au coût de 28 $ par le Syndicat des producteurs de bois de la Mauricie. À noter que les résultats obtenus par d’autres groupes seront également inclus dans le livre. Par exemple, dans la région de Kamouraska, le centre Biopterre mène actuellement avec des producteurs un projet de recherche similaire de trois ans sur la culture des champignons sous couvert forestier. Et avis aux intéressés : ils ont besoin de volontaires!

Concentrons-nous sur cinq champignons

Le spécialiste en champignons forestiers Fernand Miron est catégorique : bourrer la tête des gens en leur enseignant les clés d’identification d’une ribambelle de champignons ne sert à rien. « Il y a plus de 3 000 espèces de champignons forestiers au Québec! Je crois qu’il faut se concentrer sur des espèces faciles à identifier et qui se conservent bien, soit une dizaine d’espèces. En d’autres mots, les gens devraient commencer avec deux ou trois champignons et trouver les talles et les peuplements forestiers. L’année suivante, ils pourraient ajouter une espèce, et ainsi de suite », conseille-t-il. À ce sujet, voici les cinq champignons qu’il recommande de mettre d’emblée dans son panier. 

Le champignon crabe est le plus facile à identifier. Son goût est excellent, il se conserve longtemps et est très peu parasité grâce à son répulsif naturel. On le trouve dans les peuplements de résineux, les forêts de transition et les anciens chemins forestiers. Ses semences ont été répandues par le passage des chevaux et des hommes. Étant inexistant en Europe, ce champignon présente un potentiel très intéressant pour l’exportation. Période de cueillette : de la mi-juillet au début de septembre.

La chanterelle commune se conserve durant au moins deux semaines. Elle est plutôt résistante à la manipulation et très peu parasitée. Elle dégage de délicieux arômes et a une très belle texture. Oublions ce champignon pour la vente à l’étranger, car sa présence en petites talles rend les cueilleurs peu efficaces. Les peuplements de résineux et les forêts mixtes sont ses habitats favoris. Période de cueillette : de la mi-juillet au début de septembre. 

L’armillaire ventru est un costaud pourvu d’une belle chair blanche, ferme et au goût excellent. Son seul défaut : il peut être parasité par des insectes et des nématodes, qui sont visibles à l’oeil nu lorsqu’on tranche le champignon. Une vérification en forêt s’impose. Les peuplements de résineux, particulièrement d’épinettes blanches et de sapins, sont à prioriser. Période de cueillette : de la fin août à la fin de septembre.

La chanterelle à pied jaune est un champignon qui pourrait être cueilli en très grande quantité au Québec. Il faut visiter ses talles, car semaine après semaine il repousse. On le trouve en tourbière ou dans la mousse profonde de la forêt boréale. Son goût est excellent et il est fort apprécié en cuisine puisque sa petitesse permet de le déposer entier dans l’assiette. Période de cueillette : de la fin août jusqu’aux neiges.

Le shimeji du hêtre et de l’orme est délicieux et non parasité. On le trouve sur plusieurs feuillus, principalement l’érable à Giguère. Période de cueillette : d’octobre jusqu’aux neiges. 

Longue route

L’industrie du champignon sauvage a progressé ces dernières années. Mais tous les intervenants contactés admettent que la route sera longue avant que le champignon forestier entre dans les moeurs gastronomiques des Québécois. « En Europe, tu arrives avec des champignons sauvages et les gens disent: « Oh là là!, on va se cuisiner une bonne cassolette. » Au Québec, les gens se demandent plutôt si c’est poison. En donnant de la formation, je me suis rendu compte que même certains chefs ne savaient pas vraiment cuisiner les champignons forestiers », fait remarquer Fred Chappuis, un chef à domicile dont l’un des menus – dessert compris – est axé sur les champignons sauvages.  

Les initiatives se développent à travers la province . Des pourvoiries offrent des forfaits de cueillettes guidées, des restaurants servent les champignons et la vente prend de l’ampleur. L’entreprise Forêt y goûter dit doubler son chiffre d’affaires chaque année. « En épicerie, c’est plus difficile, mais dans les marchés publics, les ventes de champignons sauvages sont très bonnes. Une fois que le consommateur y goûte, il devient accro », jure le jeune propriétaire Francis Fournier.

Le projet qui pourrait faire la différence et que plusieurs attendent est l’usine de surgélation, qui permettrait enfin de régler le problème de la surabondance momentanée et de l’absence des champignons forestiers québécois le reste de l’année. La Filière mycologique de la Mauricie travaille sur le dossier.

Un système performant permet d'ensemencer la surface d'un grand nombre de billes.
Semence de champignon liquide badigeonnée sur le bois.
Essais de culture de champignons sur copeaux de bois dans des plates-bandes aménagées.

Article paru dans le Forêts de chez nous de novembre 2015.