Les champignons, les bleuets, les arbres de Noël et le sirop d’érable, représentent sans doute les plus connus des produits forestiers non ligneux (PFNL). Pour qui apprend à les connaître et à les exploiter, nos boisés recèlent une variété d’aliments, de plantes médicinales, d’éléments ornementaux et de produits naturels et cosmétiques. Des richesses offertes comme autant de sources potentielles de revenus.

S’ils ont longtemps perçu leur forêt uniquement comme une source de produits du bois, les propriétaires forestiers du Québec sont de plus en plus nombreux à élargir leurs horizons. Petits fruits, noix, plantes, fleurs, champignons : ils ont plus que jamais la possibilité de jumeler la production de bois à une multitude d’autres ressources pouvant être tirées de la forêt.

« Avec la perte de débouchés pour le bois au milieu des années 2000, les PFNL sont apparus comme une alternative, rappelle le directeur des communications à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (APBB), Michel Roy. Nous avons donc offert de la formation – plantes médicinales et comestibles, champignons, ginseng –, puis organisé la mise en marché commune du champignon, des têtes de violon et du sirop de bouleau. »

« Il fallait trouver des solutions à la crise forestière et économique; la valorisation de nouvelles ressources s’avérait nécessaire, ajoute Patrick Lupien, coordonnateur de la Filière mycologique de la Mauricie. En 2009-2010, une étude en forêt privée de 28 plantes et arbres a été réalisée sur le territoire, ce qui a permis, dès 2012, de développer la filière mycologique. Aujourd’hui, chez nous, elle tire tous les autres PFNL vers le haut. »

Par où commencer

Depuis une douzaine d’années, l’expertise dans le domaine progresse et de nombreuses initiatives se déploient un peu partout. Mais pour le propriétaire de boisé, par où commencer? Coordonnateur à l’Association pour la commercialisation des produits forestiers non ligneux (ACPFNL), Sam Chaib Draa confirme que « chaque terrain forestier contient son lot de PFNL ». Il propose ses conseils, voire une démarche à suivre :

• Se former grâce à différents ouvrages de référence, cours, ateliers, sorties, applications mobiles et sites Web. Il importe d’acquérir des connaissances sur l’identification, c’est-à-dire savoir reconnaître le PFNL dans son habitat naturel, avec quelle communauté écologique il se présente, comment il se transforme à travers les saisons, quelles parties utiliser, à quel moment le cueillir, etc. Il faut également se renseigner sur l’éthique de la cueillette – comment favoriser la pérennité et même la croissance de la ressource –, ainsi que sur la manutention et le conditionnement pour apprendre à préserver la fraîcheur du produit et à l’apprêter en garantissant son innocuité.

• Commencer à cueillir les ressources déjà disponibles sur sa terre ou dans sa région pour bien connaître les écosystèmes favorables, se familiariser avec les produits et les cuisiner.

• Goûter des produits faits à partir de PFNL pour découvrir la manière dont les entreprises les transforment et se donner des idées. Les meilleurs chefs du Québec s’engagent de plus en plus à intégrer à leur cuisine des produits du terroir, incluant les comestibles sauvages.

• Faire appel à une organisation qui offre des services-conseils (par exemple : Le chêne aux pieds bleus, Adapterre, Cultur’Innov) afin d’obtenir un inventaire du potentiel des PFNL sur son terrain. Pour les propriétaires admissibles, plusieurs travaux peuvent être subventionnés.

• Encourager des entreprises ou des cueilleurs professionnels à venir développer les PFNL chez soi grâce à des partenariats (location, échanges, etc.). L’ACPFNL et la plateforme Web L’Arterre permettent de créer des maillages entre propriétaires de boisés et entrepreneurs.

• Commencer à petite échelle avec des aménagements modestes afin de se faire la main. Avec le temps et l’expérience, il sera toujours possible d’augmenter peu à peu le volume.

• Aller visiter d’autres initiatives d’implantation de PFNL sur des terres semblables à la sienne. Divers exemples de projets sont répertoriés au culturinnov.qc.ca/repertoire.

Le thé du Labrador est consommé en breuvage ou comme condiment. (Crédit photo: Renaud de Repentigny)
La cueillette de champignons sert de levier à tous les autres PFNL en Mauricie. (Crédit photo: Renaud de Repentigny)

Culture, potentiel et utilisation: autres considérations

Cueillette sauvage, introduction de produits dans son boisé, culture indigène en champ : les modèles d’exploitation de PFNL sont diversifiés. « L’intérêt, c’est d’aller chercher un produit à valeur ajoutée. Quels PFNL offrent le plus de potentiel? Difficile de répondre. Il n’y a pas de mauvaises plantes; il s’agit de connaître l’utilité de chacune et de développer un marché », fait valoir Stéphane Demers, biologiste et coordonnateur chez Cultur’Innov.

« Il faut aussi voir ce qui nous intéresse, complète Joanie Bélanger, technicienne chez Cultur’Innov. En étant créatif, avec des plantes communes, on peut arriver à élaborer de beaux produits. » Pour M. Demers, on doit s’interroger sur l’objectif de mise en marché : si le PFNL a une grande valeur ou est requis dans une production quelconque, il peut être plus profitable de le cultiver que de l’acheter. La notion de prix et de qualité entre en jeu.

La récolte en forêt constitue souvent un défi; en champ, on obtient généralement plus de productivité. Dans le cas d’une culture en sous-bois, devrait-on acheter des plants ou des semences? « Ça dépend, décrète le coordonnateur de la coopérative. Ici, ce peut être avantageux de faire affaire avec un professionnel qui nous oriente ou valide nos choix. Une règle cependant : dans la mesure du possible, il vaut habituellement mieux imiter ce que l’on retrouve dans la nature. »

Le biologiste recommande en outre d’éviter d’intervenir là où il y a des plantes indigènes vulnérables. En ce qui concerne les prédateurs comme les oiseaux ou les rongeurs, il suggère au besoin l’installation d’un treillis protecteur pour les petites surfaces. « Pour les grandes superficies, le PFNL est réparti, alors comme la culture n’est pas dense, ce n’est pas un problème majeur. Et en hiver, par exemple, les plantes ne sont plus accessibles aux cerfs de Virginie », note-t-il.

Le défi de la commercialisation

La mise en marché des PFNL comporte son lot de défis. Michel Roy a tiré quelques leçons de l’expérience de commercialisation du champignon lancée en 2009 par l’APBB. « En l’absence de plan conjoint, des propriétaires ont fini par contourner l’entente initiale pour vendre directement à l’acheteur. La météo a également constitué un problème pour le volume de récolte à certains moments. Depuis 2014, nous avons mis fin à l’aventure. »

Du côté de la Filière mycologique de la Mauricie, la création d’un environnement de collaboration a engendré des résultats positifs. « Nous connectons les gens, travaillons sur la cueillette, la transformation, le tourisme, et avec les chefs cuisiniers, en plus de faire de la recherche et du développement.

Notre troisième Rendez-vous de la gastronomie forestière vient d’avoir lieu. Il faut sortir le PFNL du bois et le faire goûter », relève Patrick Lupien.

Celui qui envisage la cueillette ou la culture d’un ou de plusieurs PFNL doit se demander ce qu’il a envie de faire et pourquoi. Après avoir observé ce qui pousse dans son milieu, il doit également déterminer si ce produit sera complémentaire à quelque chose qu’il cultive ou a déjà, bref, se fixer des objectifs de mise en marché. Même chose pour tout ce qui touche la façon de procéder avec les transformateurs, les distributeurs et les vendeurs. Certes, les restaurateurs représentent une clientèle potentielle, mais celui qui se lance dans l’aventure doit aussi être prêt à développer son propre marché.

Attention, fragiles!

Certaines plantes forestières ne peuvent être récoltées; d’autres doivent l’être avec parcimonie. Depuis 2001, par exemple, le ginseng à cinq folioles est une espèce protégée en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV). Il convient de préciser que l’interdiction de le récolter ou de l’acquérir ne s’applique qu’aux populations sauvages et ne vise nullement les spécimens cultivés à partir de semences commerciales.

Plante relativement fréquente dans les érablières du sud du Québec, l’ail des bois a quant à lui été désigné comme espèce vulnérable en 1995. Son commerce sous toutes ses formes est maintenant interdit, de même que sa cueillette dans les aires protégées. À l’extérieur de celles-ci, il demeure néanmoins possible de récolter des spécimens, mais en nombre restreint (50 plants ou bulbes ou 200 g par an de toute partie de l’espèce).

Au Québec, neuf espèces sont vulnérables à la cueillette, soit l’adiante du Canada, l’asaret du Canada, la cardamine carcajou, la cardamine géante, le lis du Canada, la matteuccie fougère-à-l’autruche (sauf la partie aérienne), la sanguinaire du Canada, le trille blanc et l’uvulaire à grandes fleurs. Les interdictions limitent la récolte ou le commerce de plus de cinq spécimens sauvages entiers ou parties souterraines de celles-ci.

Source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

PFNL: catégories et exemples

Les produits forestiers non ligneux sont définis comme des produits ou des sous-produits des végétaux forestiers autres que la matière ligneuse (fibre) destinée à l’industrie du bois d’oeuvre, des pâtes et papiers, du bois de chauffage ou du charbon. Les usages commerciaux associés aux PFNL sont variés et peuvent être classés dans différentes catégories.

La récolte de sève de bouleau permet de produire un sirop de grande valeur. (Crédit photo: Chantale Levesque)

Source : Ressources naturelles Canada

Produits alimentairesSirop d’érable, bleuets et champignons sauvages, plantes indigènes de sous-étage tels le ginseng sauvage et les crosses de fougère.
Produits ornementaux – Arbres et couronnes de Noël, fleurs et feuillage utilisés à l’état sec ou frais dans la production décorative ou artistique.
Substances extraites de plantes forestières servant à fabriquer des produits pharmaceutiques et d’hygiène personnelle – Paclitaxel (commercialisé sous le nom de TaxolMD et extrait de l’if), huiles essentielles.

Chantale Levesque et le Domaine du Bocage

Sirops, gelées, tartinades, pâtes de fruits, chocolats aromatisés : toute la matière première entrant dans la composition des produits transformés élaborés par Chantale Levesque provient de sa terre de six hectares située à Saint-Ferréol-les-Neiges. D’abord destiné à recevoir une champignonnière de pleurotes, l’endroit est plutôt devenu une forêt nourricière. C’est d’ailleurs un concours de circonstances qui a permis de jeter les bases du Domaine du Bocage il y a 10 ans de cela.

« Je suis originaire du Lac-Saint-Jean et la forêt était mon terrain de jeu. Ma grand-mère, qui préparait des recettes avec des petits fruits cueillis dans le bois, m’a inspirée dès mon plus jeune âge. Lorsque je me suis installée ici avec mon conjoint, j’ai vu qu’il y avait un potentiel. Nous avons jardiné afin d’ouvrir un peu le couvert forestier, ce qui a permis de faire de l’espace pour certaines espèces qui ont ensuite profité », rapporte l’entrepreneure.

Si le sirop de bouleau a représenté un point de départ, avec le temps, un véritable projet structurant s’est déployé. Cet hiver, des ateliers ont même été offerts à des sous-chefs pour leur donner l’occasion de découvrir les produits. Des défis? « Il y en a! Justement, l’éducation du public en est un. Il reste  aussi beaucoup de chemin à faire du point de vue scientifique pour mieux connaître les PFNL », déclare spontanément Chantale Levesque. 

Chantale Levesque et son conjoint Alain La Barre, du Domaine du Bocage, à l'activité Les grandes récoltes, organisée par L'UPA le 14 septembre dernier au Grand marché de Québec.
Fruit de la rosa rugosa, l'églantier peut être utilisé dans la préparation de sirops, gelées et vins. Pour en savoir plus: http://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/especes/index.htm (Crédit photo: Chantale Levesque)
La catherinette, dont les feuilles et le fruit sont tous deux comestibles.
Très abondant, le maïenthème du Canada tapisse les forêts du Québec.
La fleur et les feuilles de l’érythrone d’Amérique constituent des aliments.

Article paru dans le Forêts de chez nous de novembre 2019.

Quelles sont les deux raisons qui vous inciteraient à vous impliquer davantage dans la mise en valeur des produits forestiers non ligneux (PFNL)?

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