Évaluation foncière des lots boisés

Lorsque vient le temps d’acquitter son compte de taxes foncières, le propriétaire forestier a souvent une surprise. La plupart du temps, l’évaluation est plus élevée et le mécontentement s’installe. Quels sont les éléments pris en compte pour évaluer un lot? Y a-t-il une partie subjective dans le résultat final? Est-ce que l’analyse peut varier d’une MRC à l’autre? Est-ce qu’un ingénieur forestier peut effectuer la même tâche qu’un évaluateur agréé? Voilà autant de questions qui ont été soulevées auprès de différents intervenants pour faire la lumière sur les enjeux entourant l’évaluation foncière.

Les mêmes méthodes partout

L’évaluation de chacun des immeubles inscrits au rôle d’évaluation d’une municipalité est effectuée par un évaluateur agréé. Ce professionnel doit respecter des normes de pratique et un code de déontologie. Il doit se conformer aux exigences de la Loi sur la fiscalité municipale et aux divers règlements.

Cet exercice est dit triennal parce qu’il est valide pour une durée de 3 ans à l’exception des municipalités de moins de 5 000 habitants qui peuvent l’adopter pour une durée de 6 ans.

Fait important, lorsqu’un propriétaire doute de la justesse de son évaluation, il doit se manifester avant le 1er mai suivant la réception de la nouvelle évaluation de sa propriété.

Pour en arriver à déterminer la valeur d’un immeuble, l’évaluateur recueille toutes les ventes des contrats notariés d’un territoire en tenant compte du pourcentage des cultures, des boisés, de l’âge des arbres, de la présence de marécages et de cours d’eau. Les ventes de boisés entre les parents et les enfants ne sont généralement pas utilisées dans ce calcul. « Pour améliorer notre calcul, on envoie une fiche à tous les propriétaires forestiers en leur demandant ce qu’ils ont réalisé comme travaux sur leur terre tout en indiquant le pourcentage attribué aux terres en culture, aux boisés, aux érablières, etc. Cette opération de vérification des données techniques revient aux neuf ans », indique Claude Lavoie, évaluateur municipal à la MRC des Sources.

« Nous travaillons avec les données écoforestières du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pour déterminer les superficies forestières et évaluer le type de peuplements forestiers, explique Sylvain Méthot, évaluateur agréé au Groupe Altus. Au besoin, nous analysons les informations sur les travaux d’aménagement forestier réalisés au cours des dernières années qui nous sont transmises par le propriétaire. Ces informations peuvent influencer la valeur d’une propriété. Par exemple, une coupe réalisée récemment pourra réduire la valeur marchande du lot. »

M. Méthot ajoute que l’objectif pour fins de taxation est de déterminer la valeur réelle en fonction de la définition de la Loi sur la fiscalité municipale. « Quel est le prix le plus probable qu’un acheteur avisé paierait pour la terre selon les informations disponibles? »

De son côté, l’évaluateur Jean-Pierre Cadrin explique qu’une propriété s’achète avec des droits. Une zone blanche confère plus de droits qu’une zone verte. Par conséquent, le coût d’un lot en zone verte devrait être moins
élevé.

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Claude lavoie, évaluateur pour la MRC des Sources.

Deux options, deux méthodes

Pour évaluer la valeur réelle de son lot, le producteur a deux options : faire appel à un ingénieur forestier ou à un évaluateur agréé. Qui choisir? Tout dépend des besoins.

Tout d’abord, il faut savoir qu’il existe deux méthodes pour évaluer une terre, soit la méthode de la comparaison et celle du revenu. La méthode du revenu consiste à évaluer les essences du boisé, les volumes de bois récoltables et la valeur marchande des bois sur pied afin de déterminer les revenus potentiels pouvant provenir des récoltes.

Traditionnellement, l’ingénieur forestier va appliquer la méthode du revenu, ce qu’un évaluateur n’a pas l’autorisation légale de faire. Selon le Code des professions, il n’y a que l’ingénieur forestier qui est habilité à faire l’inventaire, la classification et l’évaluation du fond et de la superficie des forêts.

« Pour les MRC qui ont accès à un ingénieur forestier, son travail est généralement l’interprétation des cartes écoforestières pour qualifier le boisé. Mais ce n’est pas une obligation de faire appel à un ingénieur forestier pour en déterminer la valeur à des fins d’évaluation », soutient Sylvain Méthot. L’autre méthode d’évaluation est celle de la comparaison des transactions immobilières récentes.

« Pour un boisé, l’évaluateur agréé applique généralement la méthode de la comparaison, souligne Marco Fournier, ingénieur forestier et évaluateur agréé pour Consultants forestiers MS. L’évaluateur va analyser les transactions immobilières pour faire des moyennes dans le but d’établir la valeur. Selon la compétence de l’évaluateur, il peut aller plus ou moins loin dans les détails pour finalement appliquer aux superficies forestières un taux moyen à l’hectare. »

Marco Fournier poursuit en mentionnant que pour appliquer la méthode de comparaison des ventes, on se doit d’avoir une base de données à jour des transactions immobilières dans un secteur.

L’évaluation par la méthode du revenu est intéressante pour un propriétaire souhaitant évaluer le potentiel économique qu’offre un boisé. Par contre, on observe présentement une augmentation des acheteurs de propriétés forestières ayant des motifs de villégiature. Le prix d’achat de celles-ci pourra donc être beaucoup plus élevé que les revenus que l’on peut espérer retirer d’une production forestière.

Pour plus d’informations à ce sujet, consultez le guide sur l’évaluation foncière et la taxation municipale.

La réforme cadastrale: un mal nécessaire?

Le gouvernement du Québec procède à la rénovation cadastrale parce que le registre produit en 1860 était devenu incomplet et imparfait. Selon les estimations, 850 000 propriétés n’étaient pas immatriculées distinctement au cadastre et 750 000 lots contenaient des anomalies. Ainsi, plusieurs propriétaires ont découvert avec stupéfaction que des parties de leur lot se trouvaient chez leur voisin.

C’est le cas d’Alain Corriveau, producteur forestier, acéricole et bovin de Stornoway. « Nous avons découvert que mon voisin est propriétaire de 80 000 pi2 d’une partie de mon lot. Toutefois, tant que je serai propriétaire, j’aurai un droit d’occupation et de bûcher. J’ai toujours payé les taxes foncières, mais je n’ai pas les titres de propriété. Le problème va se poser à la revente. Soit je le mentionne avec l’accord de mon voisin, soit celui-ci récupère cette partie. »

Pour lui, la réforme cadastrale est venue brouiller les cartes. Il ajoute que le bureau d’enregistrement régional ne dispose même pas des mêmes informations qu’à Québec. Fort heureusement, Alain Corriveau s’entend très bien avec son voisin. Mais le jour où il devra vendre, ce dernier n’aura pas le choix de mentionner l’erreur à son notaire. « Ensuite, je sais ce qui m’attend : les audiences devant le Tribunal administratif et les frais d’avocat vont suivre. »

Quant à son voisin Louis Lapierre, également producteur forestier et acéricole, il indique que cet imbroglio provient simplement d’une erreur d’arpentage vieille de 100 ans.

Article paru dans la revue Forêts de chez nous, édition novembre 2018.

Comment évaluer le potentiel forestier d’un boisé

Quels sont les éléments qu’un futur propriétaire forestier doit considérer lorsqu’il veut acquérir un lot boisé? Quels sont les facteurs qui permettront d’en maximiser la valeur s’il décide un jour de le revendre?

Pour en savoir plus, Forêts de chez nous est allé à la rencontre de deux ingénieurs forestiers, les seuls experts qualifiés pour réaliser un inventaire de la forêt et en déterminer la valeur potentielle. «On doit regarder le type de peuplements forestiers, les essences présentes ainsi que le volume de bois mature et la qualité du bois», estime Patrick Lupien, responsable de l’aménagement forestier et agroforestier au Syndicat des producteurs de bois de la Mauricie (SPBM). Un autre aspect important à vérifier pour évaluer le potentiel forestier d’une terre est la possibilité de mettre son bois en marché. «On peut avoir une belle diversité d’essences, mais s’il n’y a pas d’usines pour acheter le bois, le potentiel économique sera fortement diminué.»

«Si on ne trouve pas preneur pour une essence de bois, ça va être considéré comme une perte lors des opérations forestières», renchérit Julie Létourneau, responsable des évaluations à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (APBB). L’ingénieure forestière cite l’exemple de l’épinette de Norvège, qui s’est retrouvée sans débouché il y a quelques années lorsque plusieurs papetières ont fermé au Québec.

Patrick Lupien, ingénieur forestier au Syndicat des producteurs de bois de la Mauricie. (Photo courtoisie SPBM)
L’ingénieure forestière Julie Létourneau est la responsable des évaluations à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce. (Photo courtoisie APBB)
À moins d’être également évaluateur agréé, un ingénieur forestier pourra faire l’évaluation d’une érablière par rapport à son potentiel agricole mais pas sur ses biens immobiliers comme la tubulure, les équipements et la cabane à sucre. (Photo Bernard Lepage)

Avec l’aide de photos aériennes et de travail sur le terrain, l’ingénieur forestier peut identifier les peuplements forestiers et estimer le volume de bois que le propriétaire pourra récolter. L’exercice peut aussi être mené pour évaluer les revenus futurs d’une plantation ou d’un peuplement qui n’ont pas encore atteint la maturité.

Dans le cas d’une érablière, l’ingénieur forestier calculera le nombre d’entailles possibles pour déterminer les revenus acéricoles potentiels. «Mais à moins que l’évaluateur possède aussi le titre d’évaluateur agréé, son évaluation ne tient pas compte des habitations qui se trouvent sur un lot. Même chose pour les érablières; nous n’accordons pas de valeur à la tubulure, aux équipements et à la cabane », souligne l’ingénieure forestière.

Accéder au lot… et aux arbres

L’accessibilité de la propriété est évidemment un facteur important. Un lot enclavé, même avec une servitude donnant un droit d’accès, demeure toujours plus à risque.

Avoir accès à son boisé est une chose, accéder à la ressource en est une autre. La présence et la qualité des chemins forestiers sont donc des éléments à vérifer. «Est-ce que c’est un chemin de VTT ou un chemin solide permettant le transport des bois récoltés? Y a-t-il une rivière importante à traverser? Ce sont des éléments qui auront une influence sur le coût des opérations forestières», mentionne Julie Létourneau.

Une petite visite à la municipalité

Un futur acheteur doit également tenir compte d’éléments externes comme la réglementation municipale sur l’abattage d’arbres. «Quelquefois, elle est très contraignante et dans d’autres cas, elle a été rédigée pour que le propriétaire puisse sortir son bois», souligne Patrick Lupien. Par expérience, celui-ci a constaté que la sévérité des règlements municipaux en la matière est un bon indice de la dynamique des relations entre les propriétaires forestiers et leur voisinage. «Comme acheteur, je crois que c’est important de connaître le type de collaboration qui est en place avec les organismes municipaux», note-t-il. Julie Létourneau conseille pour sa part de bien vérifier si les lignes du cadastre reformé correspondent bien à la réalité du terrain. «Cela peut occasionner des chicanes avec le voisin et des frais d’arpentage à la limite», dit-elle.

Que ce soit auprès des Municipalités ou des MRC, il est bon de s’assurer que sa propriété est exempte de zones potentiellement exposées aux glissements de terrain.

«Si c’est 15 hectares qui sont visés, c’est autant de superficies qui poseront des contraintes de production», ajoute la responsable des évaluations à l’APBB.

Par ailleurs, la chasse est toujours une activité fort populaire en forêt privée, et le potentiel faunique d’un boisé est intéressant pour un acheteur qui souhaiterait louer sa terre à des chasseurs afin de générer des revenus complémentaires.

Vision à moyen et long terme

Pour Patrick Lupien, il est important d’avoir une vision à moyen et long terme comme propriétaire afin de maximiser la valeur de sa forêt. Le profil du forestier a considérablement évolué au fil des ans. «Il y a eu un changement qui s’est opéré après la crise forestière. Les propriétaires ne sont plus uniquement intéressés à la production de bois. Ils cherchent plutôt à diversifier leurs activités et leurs types de production.»

Ainsi, la culture d’arbres à noix, tels que les noyers ou les noisetiers, la production de plants à petits fruits – comme le camérisier, l’argousier et le sureau blanc – et la présence de champignons sauvages permettent d’accroître la multifonctionnalité d’un boisé et conséquemment, d’en augmenter la valeur auprès d’une partie de la nouvelle génération de propriétaires. Patrick Lupien constate que celle-ci s’intéresse beaucoup à la question de la mise en marché de produits forestiers non ligneux, contrairement à celle qui l’a précédée. «C’est une façon différente d’exploiter sa forêt», résume-t-il.

Enfin, l’achat ou la vente d’un lot boisé, c’est aussi une question d’émotion reliée à l’aspect esthétique des lieux. La présence d’un ruisseau avec une petite chute, d’une rivière ou d’un lac sur un boisé est un plus. Certains seront même prêts à payer davantage pour s’offrir cet environnement. En général, une propriété de petite dimension aura une meilleure valeur, toutes proportions gardées, qu’une autre de grande superficie, explique Julie Létourneau. «C’est la loi de l’offre et la demande. Il y a tout simplement plus d’acheteurs pour les petites propriétés que pour les plus grandes-», conclut l’ingénieure forestière.

La nouvelle génération de propriétaires accorde de plus en plus d’importance à la mise en valeur des produits forestiers non-ligneux comme les champignons sauvages par exemple. (Photo courtoisie SPBM / Guy Lefebvre)

Quelles sont les deux raisons qui vous inciteraient à vous impliquer davantage dans la mise en valeur des produits forestiers non ligneux (PFNL)?

Quelles sont les deux raisons qui vous inciteraient à vous impliquer davantage dans la mise en valeur des produits forestiers non ligneux (PFNL)?

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Évaluation foncière vs évaluation forestière

L’évaluation réalisée par un ingénieur forestier est différente de l’évaluation foncière effectuée par un évaluateur agréé. Les Municipalités ont recours à l’évaluation foncière, qui représente la valeur marchande de la propriété. Celle-ci est généralement établie en comparant les transactions immobilières récentes de propriétés semblables dans une région. L’évaluation forestière, quant à elle, permet plutôt d’évaluer le potentiel économique d’une production forestière ou acéricole. Pour en savoir davantage sur l’évaluation foncière, on peut consulter l’article paru dans l’édition de novembre 2018 du magazine Forêts de chez nous. 

Article paru dans la revue Forêts de chez nous, édition février 2019.

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