Dédouaner la production – et la réputation – des producteurs forestiers

Le début de l’année 2025 a été marqué par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et son intention d’imposer des tarifs douaniers de 25 %. Ce qui n’était encore considéré qu’un « bluff » à l’époque rajoutait encore du poids au « double préjudice » vécu par les producteurs forestiers, qui font encore les frais et d’une concurrence déloyale de la forêt publique, et du conflit du bois d’œuvre. Sans compter l’environnement réglementaire qui amenuise sans cesse notre capacité de récolter.


Le producteur forestier a droit à une rémunération juste et il a plus que jamais besoin de l’appui du gouvernement. Les interventions de l’État dans l’économie devraient avoir pour rôle de faciliter les entreprises locales et individuelles, et non de les concurrencer.

Tout investissement des producteurs forestiers dans l’exploitation de leur ressource nécessite une «  prévisibilité  » quant au prix reçu et aux volumes commandés. Ainsi, dans le contexte des changements climatiques, les feux de forêt ou les catastrophes naturelles deviennent «  prévisibles  »; nul besoin pour le ministère d’inonder le marché de bois de forêt publique brûlé, endommagé par la tordeuse ou renversé par le vent sans respecter les parts de marché des producteurs.

Il est déplorable qu’en 2025 nous devions encore rappeler le principe de « résidualité », qui oblige les industriels à s’approvisionner en forêt privée avant d’utiliser le bois des forêts publiques. Peut-être est-il temps pour nous d’exiger des compensations?

Pour l’heure, il y a, en plus des enjeux d’offre de bois, un urgent besoin de régler les problèmes de demande. Il est plus que temps que le fédéral règle de manière durable le vieux conflit sur le bois d’œuvre. À tout le moins, il est temps de dédouaner de leur responsabilité les producteurs de bois en les excluant à tout jamais de cette guerre commerciale dont ils sont les victimes collatérales.

Trop souvent, dans la sphère publique, les droits et la réputation du producteur sont bafoués. Mon collègue André Roy, président du Syndicat des producteurs forestiers du Sud du Québec, a eu la formule heureuse pour dénoncer une atteinte à la réputation qui dure au moins depuis les 25 ans de L’Erreur boréale. « Les producteurs de bois ne sont pas des vandales », claironnait-il dans le conflit l’opposant à la réglementation sur l’abattage d’arbres de la MRC des Sources. Des défricheurs, encouragés par feu le ministère de la Colonisation, aux producteurs forestiers, éléments essentiels à la vitalité des municipalités rurales, les exemples d’abus sont historiquement rares. Les producteurs forestiers ne tirent aucun avantage à détruire leur terre. L’erreur boréale, c’est sur les terres publiques qu’elle s’est produite.

Dédouaner quelqu’un, au sens figuré, c’est le relever du discrédit dans lequel il était tombé. De l’aider à se relever – surtout lorsqu’on a contribué à le faire trébucher –, c’est un peu la demande que nous faisons à la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, dans le cadre de la réforme du régime forestier.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de février 2025.

Peut-on enfin renforcer le principe de résidualité pour éviter la saturation des marchés?


Pour différentes raisons, le secteur forestier est sous pression. Les scieries multiplient les arrêts de production en raison de la hausse des droits sur le bois d’œuvre expédié aux États-Unis, de prix amorphes, d’une demande hésitante et de l’incertitude qui plane autour de l’enjeu du caribou forestier. La suspension des opérations se prolonge… quand les industriels ne se décident pas simplement à cadenasser les portes.

Ces enjeux transcendent l’ensemble de la filière, de la souche à l’usine comme se plaisent à dire mes confrères industriels. Les conditions offertes aux producteurs s’effondrent à un rythme affolant… lorsque la livraison de bois des forêts privées est encore possible. Nous avions pourtant commencé l’année sur les chapeaux de roue, mais la fin de l’année risque d’être plus modeste.

Pis encore, les producteurs font face à une accélération de la récolte en forêt publique. Au sud du fleuve, un plan spécial de récupération a cours au Bas-Saint-Laurent à la suite d’un chablis, tandis qu’au nord, on récolte toujours du bois de feu. Les marchés des producteurs sont pris en étau, alors que la demande baisse et que l’offre du gouvernement s’accroît.

L’érosion des marchés est encore plus palpable puisque plusieurs industriels ont diminué successivement les prix offerts aux producteurs alors que d’importants volumes bon marché étaient alloués en forêt publique. Il faut dire que les redevances quasi nulles perçues par le gouvernement sur le bois en perdition et les aides financières offertes pour la récupération de bois ont pour conséquence de rendre ce bois bon marché comparativement à celui de la forêt privée.

Je sais que les producteurs reconnaissent la cyclicité de notre secteur, mais pour nous, la situation perdurera plus longtemps en raison des conditions d’allocation de bois des forêts publiques qui permettront aux industriels de repousser la récolte lors de la prochaine année d’une portion de leurs garanties d’approvisionnement et de leurs enchères remportées.

Lors de la Démarche de réflexion sur l’avenir de la forêt, la Fédération des producteurs forestiers du Québec (FPFQ), ses 13 syndicats régionaux affiliés et les producteurs forestiers de toutes les régions ont insisté sur la nécessité de mieux protéger les marchés de la forêt privée en renforçant le principe de résidualité, ou à tout le moins en l’appliquant plus rigoureusement. Certaines solutions proposées permettraient de réduire la pression sur les marchés à court-terme, pendant que d’autres permettraient d’éviter que des situations similaires surviennent.

Pour éviter la saturation des marchés, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts devrait pouvoir ajuster les volumes octroyés en forêt publique en fonction du besoin réel des usines, plutôt que de la capacité de transformation théorique des installations. Par le fait même, il devrait ajuster l’offre de bois mis aux enchères en fonction du contexte des marchés. Et pour éviter que les camions de bois en provenance de la forêt publique ne fassent la file devant les usines, il devrait procéder à des octrois graduels de bois pour ne pas engorger d’un coup les marchés. Il s’agit de propositions tangibles pour mobiliser de manière pérenne le bois des forêts privées.

La balle est dans le camp du ministère.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de novembre 2024.

L’impossibilité forestière


Chaque année, près de 150 000 camions chargés de bois sillonnent les forêts privées du Québec pour alimenter plus de 200 usines de transformation. À leur vue, plusieurs concitoyens pourraient craindre une exploitation déraisonnée de la ressource. Il faut dire que les cicatrices de L’Erreur boréale ne sont pas toutes guéries, ayant été récemment ravivées par les plaies du caribou forestier.

Pourtant, me croiriez-vous si je vous disais que malgré l’appétit insatiable des forestières, les forêts privées n’ont cessé de croître depuis plus de 50 ans? Le volume de bois sur pied de ces forêts a presque doublé depuis le premier inventaire écoforestier réalisé entre 1970 et 1983 par le ministère des Forêts. Le cinquième inventaire en cours de réalisation permet de constater que le boisement de friches, les nombreux investissements sylvicoles et la maturation des peuplements forestiers ont généré une quantité phénoménale de matière première dans nos boisés.

À cela s’ajoute un niveau de récolte modéré, puisque bien en deçà de la possibilité forestière. Ces savants calculs réalisés par des forestiers permettent d’évaluer le niveau maximal de récolte de bois qu’il est possible de prélever sans compromettre la pérennité de la ressource forestière. Autrement dit, récolter les intérêts sans compromettre le capital.

C’est pourquoi votre fédération s’implique actuellement à évaluer la possibilité forestière par groupe d’essences dans les différentes régions du Québec à mesure que deviennent disponibles les données du cinquième inventaire écoforestier. Collaborant avec le ministère des Ressources naturelles et des Forêts et des firmes de consultants, la Fédération des producteurs forestiers du Québec (FPFQ) est à pied d’œuvre pour proposer cette solution de calcul à l’ensemble des agences régionales de mise en valeur des forêts privées.

J’espère que ces calculs sauront rassurer tous ceux qui craindraient une exploitation déraisonnable de la ressource par les forestiers. Individuellement et collectivement, il est de notre devoir d’assurer le renouvellement de la forêt, sa productivité et son utilisation diversifiée pour les générations actuelles et à venir. Il est aussi de notre intérêt d’empêcher sa surexploitation. Or, bon an mal an, nous prélevons moins de la moitié de la possibilité forestière en forêt privée.

Ainsi, notre plus grand défi ne consiste plus systématiquement à chercher à se conformer à la possibilité forestière, mais plutôt à trouver des moyens pour tendre vers elle. Outre les marchés du bois sans débouchés ou bien l’environnement réglementaire de plus en plus complexe et contraignant pour le producteur, le manque de relève diminue peu à peu la capacité de récolter du bois dans les forêts privées. J’encourage donc tous les propriétaires forestiers, que leur objectif premier soit la production de bois ou la conservation des milieux naturels, à participer activement à l’aménagement forestier.

Il faudra trouver le moyen d’inverser cette tendance grandissante du capital boisé laissé à perte, car ce n’est plus le concept de possibilité forestière que nous chercherons à évaluer, mais bien celui de l’impossibilité forestière, à mesure que les contraintes à l’aménagement durable des forêts se multiplieront.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de septembre 2024.

L’avenir de nos boisés est entre nos mains

Le secteur forestier s’est mobilisé récemment afin de réfléchir sur l’avenir de la forêt. La scène d’une forêt qui brûle et de communautés en danger a servi de catalyseur pour amorcer cette discussion. Il faut dire que depuis belle lurette, plusieurs acteurs aux intérêts historiquement divergents convergeaient dans leur souhait de renouveler le système de gouvernance des forêts (publiques).

Force est de constater que les forêts du Québec en général, et les forêts privées en particulier, font face à des défis persistants. En ce sens, les tables de réflexion sur l’avenir de la forêt mises sur pied par la ministre auront permis à toutes les clientèles intéressées d’y aller de leurs recommandations pour préserver notre patrimoine.

Comme dans tous les débats visant la forêt, il nous faut d’abord extirper les enjeux de tenure privée de ceux du territoire public. Puis reconnaître les producteurs forestiers comme les seuls acteurs incontournables au regard de la protection et de la mise en valeur des forêts privées.

Les producteurs forestiers constituent un heureux mélange entre les mémoires de l’héritage et une vision claire de l’avenir. On ne saurait trouver des solutions durables sans d’abord écouter puis s’allier aux gestionnaires d’expérience de ce territoire.

Au cours des dernières semaines, les producteurs forestiers de toutes les régions ont proposé une vision d’avenir des forêts. Une forêt saine, luxuriante, aménagée et contribuant autant à l’économie des régions qu’à l’environnement des communautés. Ils ont aussi soumis plusieurs pistes de solutions pour accomplir cette vision.

Je retiens tout d’abord l’accroissement du soutien pour différentes initiatives en forêt privée telles que l’aménagement responsable de la biodiversité, la sylviculture d’adaptation des écosystèmes forestiers aux changements climatiques et la production de bois répondant aux attentes de la société pour des matériaux verts et renouvelables.

De plus, il est nécessaire de régionaliser davantage les programmes proposés afin de permettre aux producteurs de s’attaquer aux menaces locales et de saisir des opportunités qui se présentent. D’autre part, les producteurs ne pourront pas façonner la forêt de l’avenir si l’environnement réglementaire ne leur accorde aucune marge de manœuvre pour réaliser les interventions forestières indispensables à l’atteinte des objectifs. La cloche de verre ne peut, à elle seule, être garante du futur de nos boisés.

Quoi qu’il en soit, il sera nécessaire de veiller à ce que les décisions prises contribuent à améliorer l’environnement d’affaires des producteurs forestiers puisqu’en définitive, il est primordial de soutenir les acteurs au centre de ce changement. La perspective de prospérité est un argument convaincant pour intéresser davantage de propriétaires à mettre en valeur leurs boisés. En ce sens, le resserrement du principe de résidualité, en le corroborant à la reconnaissance du coût de production en forêt privée, permettrait de s’assurer que les producteurs opèrent de manière rentable. Le développement d’une économie forestière verte, moderne, prospère et solidaire de toute sa filière aussi.

L’avenir de nos boisés est entre nos mains. À nous d’être porteurs de solutions.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de mai 2024.

 

Mettons la hache dans les dispositions sur l’abattage d’arbres

En décembre 2023, le gouvernement du Québec nous a donné un coup de massue en adoptant le projet de loi 39 sur la fiscalité municipale. Tel un faiseur de veuve[1], cette législation est apparue du ciel pour s’abattre sur notre tête à un moment inattendu.

Le gouvernement a d’abord aboli à tout jamais la possibilité pour un propriétaire d’obtenir une indemnité pour expropriation déguisée advenant l’introduction d’une règlementation protégeant des milieux humides et hydriques ou des boisés à valeur écologique importante. Pour ainsi dire, nous pourrons être à la merci des municipalités désirant protéger nos boisés en nous empêchant de les aménager, et ce, sans avoir le droit d’être compensés.

Cette pilule était passablement dure à avaler, mais ça ne s’arrête pas là. En commission parlementaire, les députés ont eu l’idée de quintupler le montant des amendes en cas d’infraction à un règlement d’abattage d’arbres afin de couper court aux ambitions des développeurs immobiliers qui faisaient fi de la protection du couvert forestier en milieu périurbain. Un geste certes louable, mais réalisé sans consultation.

Une simple étude d’impact aurait permis aux députés de conclure que les amendes constituent un risque collatéral excessif pour quiconque réalise des activités en forêt privée. Une comparaison avec le montant nettement inférieur des amendes prévues en forêt publique aussi.

Pouvant culminer à 1 000 $ par arbre ou 100 000 $ par hectare, les amendes proposées ne reflètent pas le niveau de risque de l’activité forestière puisqu’elles surpassent de loin la valeur des bois récoltés, et même la valeur foncière des terres forestières où ils poussent. Comment a-t-on pu associer le déboisement illégal au travail des producteurs qui cultivent leurs forêts de manière durable et pérenne?

Soyons clair. Je condamne toute forme d’abattage illégal. En revanche, je m’explique mal comment des erreurs humaines ou d’interprétation des règlements pourraient mener à des faillites. D’autant plus que nous dénonçons depuis belle lurette la complexification de la réglementation au détriment des citoyens et des employés municipaux chargés de leur application.

Votre fédération est à pied d’œuvre pour régler d’urgence cette situation. Au moment de publier ces lignes, une rencontre doit avoir eu lieu avec le ministère des Affaires municipales.

Vous conviendrez qu’il faut une fois pour toute régler la confusion qui règne en mettant la hache dans les dispositions sur l’abattage d’arbre. Pourquoi ne pas départager le régime réglementaire lié aux activités forestières de celui visant le déboisement pour fins d’artificialisation de milieux naturels? Une telle modification permettrait d’adopter un régime de sanction correspondant à la fois aux réalités urbaines et rurales, et donc adapté au niveau de risque de l’activité correspondante.

[1] Le terme faiseur de veuve fait référence aux arbres morts et chicots qui se brisent dans les airs lorsque l’on tente de les abattre et qui mettent en danger la vie des bûcherons lorsque la partie aérienne s’affaisse au sol.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de février 2024.

Jouer prudemment à la bourse du carbone

La planète se réchauffe, les forêts brûlent, des espèces envahissantes migrent au nord et la calotte glaciaire fond. On comprend pourquoi les citoyens de la Terre attendent avec impatience des solutions concrètes pour lutter contre les changements climatiques et l’effritement de la biodiversité. 

À mesure que l’urgence climatique s’accélère, l’attention se dirige naturellement vers les propriétaires forestiers. En effet, leurs arbres constituent de puissantes pompes naturelles à carbone. Et les producteurs constituent d’habiles pompistes pouvant accroître la séquestration de carbone à l’aide de diverses stratégies de protection et d’aménagement forestier.

En ce sens, l’adoption de protocoles permettant aux propriétaires de boisés de vendre des crédits de carbone séquestré par leurs forêts est une idée loin d’être vilaine. Néanmoins, avant de jouer à la bourse du carbone, les producteurs forestiers auraient intérêt à user de prudence, car les angles morts sont nombreux.

Réunir les ressources techniques et financières pour mettre en place des projets constituera toujours un défi. La complexité réglementaire, les procédures et autres exigences administratives sont des obstacles pour les petits propriétaires forestiers n’ayant pas toujours accès à l’expertise professionnelle requise. Le prix des crédits sera-t-il suffisant pour justifier tout ce travail et susciter notre engagement dans l’adoption de ces bonnes pratiques pour le climat?

Si tout va pour le mieux, la valeur des crédits devrait être appelée à croître; les producteurs devraient donc y réfléchir à deux fois avant de les céder à autrui. Le sentiment d’urgence et l’appât du gain sont de puissants aimants pour divers intervenants, anciens et nouveaux, intéressés par les crédits de carbone.

À moins bien entendu que ce marché ne s’envole en fumée, comme ce fut le cas pour plusieurs projets de plantation implantés en Californie, ou bien en raison d’un changement de gouvernement aux idéologies diamétralement opposées.

Les producteurs de bois devront aussi se questionner sur la gestion de leurs boisés. Souhaiteront-ils vendre du carbone ou bien du bois? Les deux options ne sont pas toujours compatibles sur la même parcelle. À moins bien sûr qu’ils souhaitent cultiver ces crédits pour leurs propres besoins, comme le rappelle l’UPA aux agriculteurs.

Vous voyez que j’ai moi-même plusieurs questions sans réponse qui suscitent chez moi de vives inquiétudes. C’est pourquoi, tout comme en bourse, la meilleure façon de bien investir consiste à se renseigner, à s’éduquer et à conserver un esprit critique. Il vaut probablement mieux investir intelligemment que précipitamment.

Vous pouvez être assurés que la Fédération des producteurs forestiers du Québec poursuivra sa mission de vous informer des développements, opportunités et pièges qui pourraient se dresser alors que ce marché prend de l’ampleur. De plus, nous poursuivrons les discussions avec nos partenaires et intervenants afin de nous assurer de donner l’heure juste aux producteurs.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de novembre 2023

Nous avons besoin d’un printemps des idées

Au cours de la dernière année, des voix se sont élevées pour exprimer le souhait de tenir une rencontre ou un sommet des partenaires de la forêt privée. Ces rencontres nationales se veulent un lieu d’échange permettant aux principaux intervenants du secteur de définir des orientations quant au développement des politiques gouvernementales liées à la gestion des forêts privées.

Le Sommet de la forêt privée de 1995, la rencontre des partenaires en 2006, suivis de leur rendez-vous en 2011, auront permis entre autres de mettre au monde les agences régionales de mise en valeur, de partager les coûts des programmes d’aide et d’améliorer le programme de remboursement des taxes foncières. Ils auront surtout permis aux partenaires de mettre cartes sur table, puis l’épaule à la roue, pour faire progresser la forêt privée.

Douze ans plus tard, le temps est-il venu de réunir les propriétaires forestiers, le monde municipal, l’industrie forestière et le gouvernement du Québec autour de la table? Après mûre réflexion, et bien que des risques existent toujours à vouloir brasser le statu quo, je crois qu’il est temps que je joigne ma voix à la leur pour réclamer la tenue d’une nouvelle rencontre des partenaires. Il reste en effet trop de choses à accomplir en forêt privée.

À titre d’exemple, le cadre réglementaire dans lequel nous sommes empêtrés doit être revu pour permettre aux propriétaires forestiers de mettre en valeur le potentiel de leurs boisés. Notre coffre à outils est parfois si réduit que j’entrevois mal comment nous pourrons aménager nos forêts pour faciliter leur adaptation aux changements climatiques, pour séquestrer davantage de carbone atmosphérique ou créer des habitats diversifiés au profit de la biodiversité. Les propriétaires forestiers peuvent affronter ces défis du 21e siècle, à condition qu’on leur fournisse la latitude pour intervenir.

Je pense aussi que les partenaires pourraient trouver le moyen de s’entendre sur la nécessité d’accroître et de pérenniser les programmes et mesures destinés à la mise en valeur des forêts privées. Nous l’avons échappé belle cette année alors que des annonces tardives auront permis de sécuriser les budgets destinés à la sylviculture des forêts privées. Toutefois, un précipice se dresse devant nous puisque les budgets pourraient chuter de près de 30 M$ dès l’année prochaine si rien n’est fait.

Par la présente, j’invite mes homologues des partenaires de la forêt privée à faire preuve encore une fois d’ouverture pour amener la forêt privée à un autre niveau. Et si rencontre il y a, j’espère que nous serons tous capables de trouver le moyen de favoriser un printemps des idées au détriment d’un débat stérile.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de septembre 2023.

Moderniser nos relations

Plusieurs organismes du secteur forestier s’engagent par nécessité dans une course à la modernisation afin de demeurer concurrentiels ou pertinents. L’industrie forestière rénove ses équipements et se consolide, les conseillers forestiers se lancent dans une transition numérique, les entrepreneurs optimisent l’intégration de leurs opérations avec les transporteurs forestiers, alors que les organismes de conservation redoublent d’ingéniosité pour diffuser leurs idées.

L’effervescence est aussi palpable à la Fédération et chez ses affiliés, et ce, autant dans nos propres processus internes que dans nos rapports externes. Ce remue-méninges nous amène parfois à revisiter la relation fournisseur-client existante entre les propriétaires, producteurs, entrepreneurs, transporteurs et conseillers, et l’industrie forestière.

Effectivement, devant des marchés en mutation, trois syndicats de producteurs de bois se sont fermement engagés dans une volonté de négocier collectivement les conditions de mise en marché du bois de sciage. En cherchant à encadrer la relation entre les producteurs et les acheteurs, ces syndicats tentent d’assurer un développement harmonieux de la filière. Ces efforts collectifs et les gains qui en témoignent reposent avant tout sur la volonté de voir la situation des producteurs progresser. Pourrait-on les blâmer?

Bien qu’il insuffle un peu d’espoir aux producteurs, ce changement draconien laisse peu d’acteurs indifférents puisque la formalisation de ces relations se traduit généralement par un encadrement des libertés individuelles. L’immobilisme dans les positions de certains doit parfois être confronté à la volonté collective du changement, la dictature du statu quo ne pouvant prédominer par défaut.

Le respect des champs de compétence et la volonté de faire évoluer ces relations au bénéfice de tous constituent à mon avis l’assise d’un secteur qui cherche à se renouveler et à se développer. Dans tous les cas, l’écoute et l’ouverture sont de mise afin d’assurer que la relation évolue de façon fructueuse entre les parties.

Pour les producteurs et leurs syndicats, cela présuppose l’amélioration de l’offre de service aux industriels forestiers en ajustant le rythme, le niveau ou la qualité des livraisons aux besoins escomptés. Ne nous leurrons pas; ce n’est qu’en devenant les meilleurs fournisseurs que nous nous assurerons que notre matière première devienne effectivement une ressource prioritaire.

Pour les acheteurs de bois? Des conditions de mise en marché satisfaisantes pour les fournisseurs, c’est-à-dire compétitives, lucratives ainsi que prévisibles. On peut présumer que cela inclut aussi le respect des achats prioritaires du bois des forêts privées au détriment de celui des forêts publiques.

En 2021, la récolte et la transformation du bois des forêts privées du Québec ont généré des revenus de 4,7 G$ et assuré près de 24 300 emplois, comme révélé dans le dernier Portrait économique des activités sylvicoles et de la transformation du bois des forêts privées. Nul doute, les producteurs forestiers constituent un atout incontournable pour le secteur forestier, les régions et le Québec. Nous pouvons en être fiers, mais j’ai la prétention de penser que nous pourrions faire encore mieux en modernisant nos relations.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de mai 2023.

Du concept de la résidualité à celui de la priorité

D’aussi loin que je me souvienne, les syndicats, les offices et votre fédération ont toujours martelé l’idée de développer l’accès aux marchés des producteurs forestiers.

Ce message, nous le portons aux industriels qui achètent notre bois (et surtout à ceux qui en achètent peu ou pas!). Nous le portons également au ministère des Ressources naturelles et des Forêts qui, par sa gestion des forêts publiques, constitue bien malgré lui notre plus féroce concurrent.

À force de persévérance, le gouvernement a adopté en 1989 le principe de « résidualité » qui confère un caractère résiduel au bois de la forêt publique par rapport aux autres sources d’approvisionnement dans l’établissement des scénarios d’approvisionnement des usines de transformation du bois. En d’autres mots, le ministère consulte les autres fournisseurs, dont la forêt privée, afin de n’accorder que le bois nécessaire aux entreprises forestières pour combler leurs besoins.

Il est vrai que le ministère offre une performance d’équilibre dans l’application du principe de résidualité, lui qui doit jongler avec ses allocations afin de maintenir une structure industrielle forestière vigoureuse sans pour autant léser les producteurs de bois.

Ces fréquents déséquilibres entre l’offre et la demande hypothèquent la capacité des producteurs et de leurs syndicats à négocier des conditions de mise en marché satisfaisantes. Pire encore, certains volumes ne peuvent être récoltés par manque de débouchés.

Au cours de la dernière année, les syndicats et offices de producteurs forestiers ont justement participé à l’exercice de consultation du ministère qui vise à évaluer les volumes disponibles en forêt privée et ainsi déterminer les volumes des forêts publiques qui seront accordés aux industriels entre 2023 et 2028. Il s’agit du socle sur lequel repose le principe de résidualité. Nous saurons donc bientôt quelle place sera accordée aux producteurs forestiers.

Bien évidemment, je souhaiterais plutôt que l’on priorise d’office l’achat de notre bois, car la crainte de ne pouvoir récolter constitue un frein pour le développement de nos entreprises.

Dans une contrée si riche en forêts, les sources d’approvisionnement en bois sont nombreuses, mais j’ai la prétention de penser que nous pouvons aspirer à devenir les meilleurs fournisseurs. Peut-être en améliorant nos services aux acheteurs en contrepartie de meilleures conditions?

À nous de prouver au ministère et aux industriels que nous sommes les mieux placés afin d’assurer un approvisionnement durable, et à ces derniers de nous prouver que l’achat du bois des forêts privées est véritablement priorisé.

Gaétan Boudreault
Producteur et président par intérim de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de février 2023.

La saison des promesses

À peine reposés de nos vacances estivales qu’une campagne électorale était déclenchée. Comme vous tous, nous avons bénéficié de peu de temps pour convaincre les différents partis et leur chef respectif de soutenir les 134 000 propriétaires et producteurs forestiers.

En effet, la campagne électorale s’achevait alors que les feuilles des arbres venaient à peine de se colorer. Je tiens évidemment à féliciter tous les candidats élus.

À l’aube des premières neiges, une nouvelle ministre des Ressources naturelles et des Forêts a pris place. Mme Maïté Blanchette Vézina devra rapidement jongler avec des enjeux multiples et départager les plus pressants : caribou forestier, approvisionnement des usines, intendance des forêts publiques, tordeuse, séquestration du carbone forestier, intérêts autochtones et j’en passe. Qu’en sera-t-il des producteurs et de leurs boisés?

La tentation sera forte d’abandonner certaines promesses devant la complexité de certains dossiers ou le manque de ressources pour y arriver. Rassurez-vous, Madame la Ministre, nos attentes sont simples, légitimes et, espérons-le, mutuellement bénéfiques.

Lors de la campagne, les producteurs vous ont rappelé la nécessité d’accroître les mesures de soutien à la sylviculture afin de produire davantage de bois de qualité. Ces sommes permettront à plus de propriétaires forestiers de mettre en valeur leur patrimoine forestier et de juguler la diminution des services offerts aux producteurs dans un contexte inflationniste. En prime, l’industrie forestière pourra compter sur des approvisionnements sûrs pour moderniser ses installations et consolider les emplois du secteur.

En parallèle, ils vous ont demandé de sécuriser l’accès au marché pour le bois que nous récoltons afin de nous garantir un avenir prévisible et suffisamment lucratif pour nous permettre d’investir dans notre secteur de production. Un meilleur arrimage entre les allocations de bois des forêts publiques et les allocations des forêts privées permettrait d’atteindre cet objectif. Votre vigilance sera de mise alors qu’une récession pointe son nez et que l’insatisfaction quant à la concurrence de la forêt publique gagne du terrain.

Finalement, il faudra nous accompagner dans l’adoption de meilleures pratiques environnementales en forêt privée, car les producteurs ne peuvent assumer seuls les efforts nécessaires afin de rassurer le milieu municipal, la société civile et les groupes environnementaux quant à la gestion de nos boisés.

Nous ne sommes pas dupes; ces demandes de longue date ne pourront être résolues avant la fin de l’hiver. Peut-être pourrions-nous espérer une hausse des budgets d’aménagement au printemps suivant, avant que les activités sylvicoles démarrent en trombe?

J’espère sincèrement que nous pourrons vous rencontrer très prochainement pour vous féliciter en personne et discuter de nos enjeux respectifs. Souhaitons également qu’à ce moment, vous et vos conseillers politiques serez soucieux de bien vouloir comprendre la réalité des producteurs forestiers. Dans tous les cas, Madame la Ministre, vous bénéficierez de plusieurs saisons au cours de ce mandat pour nous surprendre agréablement ou m’entendre vous le rappeler sans cesse.

Gaétan Boudreault
Producteur et président par intérim de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de novembre 2022.

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