L’administration Trump frappe fort : dès mars 2025, Washington compte imposer des droits de douane de 25 % sur tous les produits canadiens. L’acier, l’aluminium, les semi-conducteurs, les produits forestiers seront taxés, alors que le bois d’œuvre l’est déjà. L’industrie forestière canadienne fait vraiment face à un cocktail explosif de taxes et d’incertitudes.
Prenons l’exemple du bois d’œuvre. Ce dernier est déjà sous pression puisque les taxes sur le bois d’œuvre sont passées de 8,1 % à 14,4 % en 2024. Et il faudrait maintenant prévoir 25 % de plus? Les tarifs compensatoires (6,74 %) et antidumping (7,66 %) déjà imposés sur le bois d’œuvre canadien se traduisent par une hausse totale de 14,40 % du prix des exportations vers les États-Unis. Autrement dit, si la valeur initiale du bois d’œuvre sur le marché est égale à 600 $/MPMP, les consommateurs américains devront dorénavant débourser 686 $/MPMP pour acheter du bois d’œuvre canadien.
L’effet de ces tarifs ne s’arrête pas aux frontières canadiennes. Avec une part de marché de 24 % aux États-Unis, le bois d’œuvre canadien joue un rôle clé dans l’équilibre des prix. Par ailleurs, toutes choses étant égales, en appliquant ces nouvelles barrières tarifaires, le prix moyen du bois d’œuvre sur le marché américain devrait enregistrer une hausse de 3,5 % pour atteindre environ 621 $/MPMP.
Si les coûts de production demeurent les mêmes des deux côtés de la frontière, les scieries américaines verront leurs profits gonfler de 21 $/MPMP de bois d’œuvre produit, tandis que les marges des scieries canadiennes s’effriteront, quitte à devenir négatives, pour l’ensemble des volumes qu’ils expédient aux États-Unis. L’écart de coût entre le prix du bois d’œuvre taxé et celui à l’équilibre (65 $/MPMP) sera assumé par l’industrie forestière canadienne et leurs sous-traitants. Bon an mal an, on évalue que de 40 à 50 % du bois d’œuvre québécois se dirige aux États-Unis. Lentement mais sûrement, les scieries américaines gagneront des parts de marché comme ils l’ont toujours fait lors des différents conflits sur le bois d’œuvre.
On peut penser que tant et aussi longtemps que la demande sera favorable aux États-Unis, les consommateurs américains devront payer un premium sur leur bois d’œuvre pour gonfler les profits des scieries américaines et maintenir en activité les scieries canadiennes. Toutefois, dès que nous entrerons dans un cycle baissier, les scieries canadiennes seront plus à risque de cesser leurs opérations, car le coût de revient de leur bois d’œuvre sera nettement plus élevé que leurs concurrents américains.
La pression exercée par notre plus grand partenaire commercial a également pour effet de diminuer la valeur du taux de change. Depuis octobre 2024, principalement en raison de l’incertitude croissante entourant les politiques commerciales, le huard a amorcé une baisse de 5,9 % face au dollar américain. Un effet pervers qui, paradoxalement, joue en faveur des exportateurs canadiens : un dollar plus faible rend le bois canadien plus attractif en réduisant son coût en devise américaine. Ce facteur pourrait atténuer en partie l’impact des droits de douane, rendant l’exportation toujours viable malgré les nouvelles contraintes. Pour reprendre notre exercice précédent, cette baisse du taux de change équivaut à une hausse de revenu de 35 $/MPMP sur tout le bois d’œuvre canadien expédié aux États-Unis.
Il va de soi que l’imposition de tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens aura pour effet d’accentuer le déséquilibre qui existe. Qui plus est, ce phénomène ne se limite pas seulement au bois d’œuvre, mais à l’ensemble de l’industrie forestière. Panneaux OSB, contreplaqués, pâtes et papiers : chaque segment du marché est exposé aux fluctuations induites par les tarifs et ses répercussions sur la chaîne d’approvisionnement nord-américaine.
Le graphique ci-dessus illustre la forte dépendance du secteur forestier québécois à l’égard de la demande américaine. Il compare la valeur des exportations québécoises vers les États-Unis à la valeur totale des exportations du Québec pour différents segments de marché. On observe que les exportations de certains produits forestiers, comme le bois d’œuvre résineux, les panneaux, la pâte NBSK et les cartons plats, sont presque exclusivement destinées au marché américain. Dans le contexte actuel de tarifs douaniers, certains industriels de ces secteurs sont particulièrement vulnérables, faute de débouchés alternatifs.
Malgré ces barrières commerciales, la demande pour les produits forestiers canadiens demeure robuste. Le vieillissement du parc immobilier américain et l’essor des rénovations continuent de stimuler la consommation de bois d’œuvre et d’autres matériaux de construction en bois. Face à un approvisionnement local limité, les consommateurs américains n’auront d’autre choix à court terme que d’absorber ces hausses de prix, poussant marginalement à la hausse le coût des projets de construction et de rénovation.
L’industrie forestière canadienne entre dans une zone de turbulences. Avec des tarifs en hausse et une menace persistante de nouvelles sanctions commerciales, les acteurs du secteur doivent jongler entre arbitrage des prix, stratégies de marché et gestion des coûts.
Si les tensions commerciales persistent, une seule chose est sûre : 2025 s’annonce comme une année charnière pour l’industrie forestière. Entre adaptation et résilience, le secteur devra redoubler d’ingéniosité pour tirer son épingle du jeu dans un contexte de plus en plus contraignant. Le développement d’autres marchés (domestique et ailleurs dans le monde) devra être priorisé, malgré ses limites évidentes. Aussi, il faudra sans doute miser sur la création de valeur ajoutée.
Pour les producteurs forestiers québécois, des droits de douane de 25 % sur tous les produits canadiens menacent leurs revenus en altérant les prix que les industriels sont prêts à acheter leur bois. Certains marchés pourraient même se refermer advenant la fermeture pure et simple d’usines. Avec une demande incertaine, certains producteurs pourraient être tentés de ralentir leurs coupes, compromettant ainsi la rentabilité de leurs opérations. Il va de soi, devant la turbulence à venir, que les producteurs devront s’informer continuellement des développements auprès de leurs syndicats et offices de producteurs de bois.