Encore un truc d’hommes

Katherine Court est directrice générale du Syndicat des producteurs forestiers de la Gaspésie depuis 2013.

Elle est d’ailleurs la première femme au Québec à occuper cette fonction auprès d’un syndicat. Intéressée par la forêt depuis son adolescence, elle admet qu’il lui a fallu faire preuve d’abnégation pour y gagner sa vie.

« C’est encore pas mal un truc d’hommes », affirme-t-elle, révélant les grossièretés qu’elle a parfois entendues et qui ne peuvent être publiées. En 1981, elle a commencé comme mesureur de bois à l’âge de 17 ans. Comme le métier était alors réservé aux personnes majeures, elle a été obligées d’obtenir un permis spécial pour exercer ses talents. Qu’importe, la jeune femme de 115 lb était tenace et ne s’en laissait pas imposer.

« Si j’avais été très sensible, relate-t-elle, je serais partie au bout de deux semaines. Quand certains hommes me voyaient arriver avec ma règle à mesurer et du vernis à ongle, les commentaires étaient parfois assez gras. Heureusement, ça me rentrait par une oreille et ça me sortait par l’autre. » Originaire de Saint-Omer en Gaspésie, Katherine Court a vécu jusqu’à 12 ans dans la ville de Longueuil. Quand elle est revenue dans sa région natale, la grande majorité de ses voisins vivaient de l’industrie forestière. Elle a donc eu l’occasion d’accompagner régulièrement ses amis en forêt et d’y côtoyer les gars « qui rêvaient de faire comme leur père ». C’est à ce moment qu’elle a pensé y faire carrière. 

Katherine Court n’a pas tardé à s’illustrer. En 1998, elle remporte le titre de Mesureur de l’année. C’est peut-être cet honneur qui lui a ouvert les portes d’une nouvelle carrière. Jusqu’en 2013, elle occupe la fonction de directrice de foresterie auprès de Produits forestiers Saint-Alphonse et de Temrex. L’Ordre des ingénieurs forestiers reconnaît ses mérites en 2012 en lui décernant un titre honorifique pour sa contribution à la profession et à l’industrie.

« J’ai commencé comme mesureur, raconte-t-elle. Dans les temps morts, j’acceptais d’autres travaux comme l’inventaire. Je répondais toujours oui et j’ai appris plein de choses comme ça : construire des ponts, réaliser des travaux d’aménagement, récolter. Quand il y avait quelque chose de compliqué, je voulais savoir comment ça fonctionnait. »

La directrice du Syndicat a déjà été propriétaire d’un boisé et pourrait de nouveau en acquérir un à la retraite. Le fait de ne pas posséder de lot, estime-t-elle, lui permet aujourd’hui de se consacrer entièrement à la défense des intérêts de ses membres.

Katherine Court admet qu’elle aimerait voir plus de femmes en forêt. Celles-ci, pense-t-elle, deviennent principalement propriétaire d’un boisé à la suite d’un legs ou d’un investissement pour les activités de loisirs. Elle ne connaît aucune femme qui bûche elle-même dans son boisé.

« Il y a de moins en moins d’hommes aussi qui le font, note-t-elle. C’est quand même beaucoup d’investissements pour deux ou trois voyages de bois par année. Plusieurs vont donc préférer confier ces travaux à des entrepreneurs à forfait. »

« Les femmes, enchaîne-t-elle, sont aussi moins intéressées par le travail sur le terrain. Dès qu’elles peuvent entrer dans un bureau, leur choix est facile. Dans le bois, c’est quand même très exigeant. Enjamber des arbres, marcher en raquettes l’hiver et se battre contre les mouches, c’est très physique. Un journée de pluie, il faut travailler pareil. »

Article paru dans la revue Forêts de chez nous de février 2016.

Un forestier heureux de transmettre son savoir à ses filles

Au bout du fil, l’émotion étrangle la voix de Sarah. La jeune femme de 32 ans, fille de Pierre-Maurice Gagnon, est coiffeuse. Elle ne peut cependant imaginer que les boisés de son père pourraient un jour lui échapper, faute de connaissances suffisantes pour en prendre la responsabilité.

« C’est tellement une belle richesse », s’enthousiasme-t-elle au sujet de la forêt de son père, président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec.

« Je ne suis pas capable d’envisager que les terres de mon père seront vendues parce que je ne suis pas capable de m’en occuper », parvient-elle à dire. Un long silence suit. Sarah, tout comme sa soeur Catherine d’ailleurs, a suivi le cours d’abattage d’arbres. Elle admet qu’elle ne pourra jamais suivre la cadence d’un homme, mais estime que cette formation lui permettra de mieux comprendre les subtilités de l’aménagement forestier. En compagnie de son conjoint, elle est d’ailleurs en train de se construire un chalet à proximité de la cabane à sucre familiale. Un jour, elle se voit très bien posséder des lots forestiers, quitte à en confier l’aménagement à une tierce partie.

Pierre-Maurice Gagnon et ses deux filles, Sarah et Catherine

« Je pourrais engager des ouvriers pour effectuer les travaux, mais je veux être capable d’évaluer le travail qui se fait », confie Sarah. Elle doute qu’elle puisse un jour vivre essentiellement des revenus tirés de la forêt.

Sans en faire un métier, note Catherine pour sa part, la forêt représente d’abord à ses yeux un passe-temps de choix qui rejoint ses valeurs. Cet amour pour la forêt, convient-elle, lui provient de son père à qui elle voue une grande admiration. « Ce n’est pas gênant de dire que je suis la fille de Pierre-Maurice Gagnon », lance-t-elle avec conviction.

« On a toujours eu du plaisir dans le bois, en famille à la cabane à sucre, évoque-t-elle. Je ne m’ennuie pas en forêt et j’aime mieux ça que de sortir dans les bars.

Pierre-Maurice Gagnon est bien heureux de constater l’intérêt de ses filles pour sa forêt. Visiblement, celui-ci est plus grand que pour l’agriculture. Il admet avoir été surpris par leur réaction quand il a été forcé de vendre certains lots, voyant que « cela leur a fait mal au coeur ».

Le président de la Fédération dit avoir laissé ses filles libres de l’accompagner en forêt. La cabane à sucre et « des nuits à faire bouillir », le ski de fond et la raquette ont été autant d’occasions de les initier à la vie forestière. Il profitait de chaque visite pour partager sa science de la forêt et « leur montrer à identifier les arbres ».

Sarah admet avoir suivi son père en forêt avec intérêt depuis sa tendre enfance. Bien qu’elle aurait aimé s’impliquer davantage, elle jugeait que « ce n’était pas un métier pour une fille ». Elle considère maintenant que les femmes peuvent jouer un plus grand rôle en forêt. « La forêt est encore un monde d’hommes », convient toutefois Pierre-Maurice Gagnon. Ce dernier constate tout de même « une lente évolution », disant voir plus de femmes devenir propriétaires de boisés. S’il observe la présence accrue de femmes lors des assemblées syndicales, il déplore leur faible représentation au sein des conseils d’administration.

« Autrefois, relate-t-il, il était fréquent d’entendre un propriétaire affirmer qu’il allait vendre ses lots boisés parce que ses garçons n’étaient pas intéressés à prendre la relève. Quand une femme tombait veuve, c’était automatique, elle vendait. »

« Les choses changent, ajoute-t-il. Ce n’est plus vrai que c’est rien qu’aux garçons. Les femmes ont prix leur place et elles sont capables de travailler en forêt. Il y a tellement de nouvelles méthodes et de moyens modernes comme la géomatique. On retrouve aussi de la belle petite machinerie. Il sera quand même toujours important de connaître son boisé. »

Article paru dans la revue Forêts de chez nous de février 2016 .

Une passion transmise chez les Rainville

Mirianne Rainville adore la forêt. Comme pour la potion magique, elle est pour ainsi dire tombée dedans.

Fille d’un entrepreneur forestier, elle suivait volontiers son père Réjean les fins de semaine et les jours de congé scolaire. Aujourd’hui propriétaire de 400 acres de boisés, elle a acquis son premier lot à 21 ans.

« Quand je suis sortie de l’école, je pensais m’acheter un lot à bois, pas une maison », raconte-t-elle. Heureux de constater l’intérêt de sa fille, Réjean lui a cédé ses propriétés tout en continuant à y effectuer les travaux de coupe. 

« … d’aménagement, précise Mirianne. Mon père dit qu’il faut aménager la forêt, pas la couper. C’est bien de la couper, mais tout en l’aménageant. »

La leçon a été bien apprise. Mirianne dit suivre minutieusement le plan d’aménagement préparé par l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce. La forêt mature située à Sainte-Aurélie a été nettoyée, des plantations ayant remplacé avantageusement le tremble. Un chemin de bonne qualité s’étend aujourd’hui d’un bout à l’autre de la propriété.

À 21 ans, à la fin de ses études en gestion agricole, Mirianne Rainville rêvait d'abord de s'acheter un lot forestier, "pas une maison".

Mirianne s’estime chanceuse de pouvoir compter sur les conseils de son père qui effectue les travaux. La jeune femme admet profiter de l’endroit principalement pour les loisirs en famille. Propriétaire de chevaux, elle aime bien s’y balader en été.

« Quand j’ai acheté la forêt, avoue-t-elle, ce n’était pas pour l’exploiter, mais bien plus pour faire un placement. Mon père m’a toujours dit que c’était un placement sûr. J’aime bien m’y retrouver. Je ne pense plus à rien. Quand j’ai une décision importante à prendre, c’est un endroit vraiment relax pour ça. »

Les femmes ne sont pas légion en foresterie. Au Québec, les 16 000 femmes propriétaires d’un boisé de plus de quatre hectares ne représentent que 12 % des 130 000 propriétaires. En Chaudière-Appalaches et à Québec (8 %) ainsi que dans les Appalaches (9 %), la proportion de femmes propriétaires se situe sous la moyenne québécoise. Au sein des syndicats régionaux et des offices de producteurs forestiers au Québec, on ne trouve que deux femmes sur 115 administrateurs. Mirianne est l’une d’elles depuis quatre ans déjà. « L’Association a demandé à mon père si un poste d’administrateur l’intéressait, relate Mirianne. Il a dit que c’était à mon tour. J’aime bien mon expérience. Au début, cela me faisait un peu peur de donner mon opinion et d’être mal perçue. C’est surtout des hommes d’un certain âge.

« J’ai découvert qu’ils sont très ouverts et que mon opinion passe bien, ajoute-t-elle. C’est enrichissant et ça m’apporte beaucoup de connaissances. C’est aussi très agréable d’échanger avec d’autres producteurs. Il y a plein de visions différentes. »

Mirianne Rainville sait bien qu'elle a de la chance de pouvoir compter sur les services d'un forestier aguerri de la forêt, son père Réjean. Tout comme lui, elle rêve de léguer sa forêt à ses enfants, dont le petit Étienne, deux ans et demi.

Mirianne a bien consciente que peu de femmes travaillent en forêt. Si elle est toujours partante pour acheter de nouveaux boisés, elle n’a aucunement l’intention d’y travailler directement. Elle croit d’ailleurs qu’elle devrait posséder un énorme domaine pour espérer pouvoir en tirer suffisamment de revenus pour en vivre. 

« Je ne dis pas non, mais pas dans un avenir rapproché, juge-t-elle. Les taxes sont tellement élevées et nombreuses. S’il fallait que j’engage, il n’en resterait pas beaucoup. Avec mon père, l’entreprise fait ses frais. »

Mirianne Rainville ne cache pas sa grande fierté de posséder des lots forestiers. Elle constate également la même satisfaction chez son père, qui voit son oeuvre se prolonger. Mère d’un enfant de deux ans et demi, Étienne, elle confie en attendre un deuxième. 

« J’aimerais aussi laisser ça à mes enfants, espère-t-elle. J’aime la forêt. Mon père avait le tour de me transmettre sa passion. Aujourd’hui, il y emmène régulièrement son petit-fils. Étienne dit qu’il va couper des arbres plus tard. »

Article paru dans la revue Forêts de chez nous de février 2016 .

Forestiers de souche

Éric Cliche et son fils Michaël ne sont jamais aussi heureux que lorsqu’ils sont en forêt. Le propriétaire de boisés privés et le jeune ingénieur forestier à l’emploi d’un groupement forestier nous parlent foresterie, engagement et relève, sur fond de passion.

Éric Cliche, un syndicaliste forestier bien engagé.

D’emblée, Éric Cliche tient à remettre les pendules à l’heure : si on croit trouver en lui un syndicaliste façon Michel Chartrand, on se trompe d’adresse! « Les syndicalistes à ce point colorés, ce n’est pas nous! » rigole l’homme qui porte le chapeau de président de l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce depuis quatre ans. Au fil du temps, son engagement au sein de l’Association l’a amené à apprécier et à partager les valeurs qui y sont véhiculées, ce qui lui a permis de développer plusieurs aptitudes, dont celle de se lever pour défendre de vive voix les intérêts de ses pairs.

« J’avais à peu près l’âge qu’a mon fils aujourd’hui quand j’ai commencé, en 1994, à m’impliquer un peu dans la relève agricole. Je venais d’acquérir mon premier lot boisé, je ne connaissais pas grand-chose aux organisations, mais la Beauce est une région où l’action collective est bien enracinée. Les gens ici travaillent ensemble », explique-t-il. Il admet que pour lui, comme pour bien des jeunes de son âge à l’époque, le mot syndicat avait une connotation négative. « Quand j’ai compris que ça rimait avec implication sociale, coopération, formation, défense des droits des propriétaires, j’ai eu envie de m’engager, surtout pour amener des jeunes dans les rangs. J’ai aussi réalisé que le syndicalisme forestier était bien différent du syndicalisme ouvrier. Encore aujourd’hui, j’adore ça! » affirme celui qui siège également au conseil d’administration de la Fédération des producteurs forestiers du Québec.

Son fils, Michaël, travaille pour un groupement forestier, un modèle qui correspond à ses valeurs. Il ne sent pas le besoin, pour l’instant, de suivre la trace de son père, du moins en ce qui a trait à son engagement. « Je trouve admirable le travail que mon père accomplit en foresterie, et je pense que tous les acteurs du milieu forestier, les coopératives, les associations, les syndicats et les groupements, partagent un but commun. Peu importe le véhicule qu’on prend, on va tous à la même place. Essentiellement, on veut permettre aux propriétaires de mettre en valeur leur forêt, dans une optique de rentabilité selon leurs objectifs, mais aussi d’acceptabilité
sociale et de développement durable », avance le jeune ingénieur.

Éric Cliche est visiblement fier de son fils. « Quand il était ado, j’avais hâte qu’il m’enlève la scie à chaîne des mains, mais ça n’arrivait jamais! Michaël posait des questions, il voulait comprendre ce qui se passait… Quand il a décidé d’aller en foresterie, j’ai été surpris, je pensais qu’il n’aimait pas ça! En fait, il s’intéressait à l’aménagement : pas tant au geste de bûcher, mais à la raison pour laquelle on bûchait! » rigole Éric Cliche.

« Je ne m’enlignais pas pour aller en foresterie, mais je tripais sur la biologie, l’acériculture, l’agriculture… J’ai compris que la foresterie me permettait de jumeler plusieurs de mes intérêts », résume Michaël.

Le père entend transférer ses lots à ses enfants « avant d’avoir 82 ans ». « Une terre forestière, ce n’est pas un bien personnel, c’est un bien familial. C’est le travail d’une vie et on veut que les enfants partagent cette responsabilité. La raison première qui incite les gens à devenir propriétaires de boisés privés, c’est le plaisir de posséder, d’habiter un lot, un milieu naturel. Faire de l’argent arrive au 4e ou au 5e rang! »

« Mes soeurs et moi, on veut revenir vers la terre familiale. Peu importe nos intérêts, on veut en pro( ter et la partager avec nos familles à notre tour », ajoute Michaël, qui aime particulièrement le volet acériculture qui se déploie sur les terres familiales.

Éric Cliche et sa conjointe Marie-Josée Maheu, sont propriétaires de deux lots et d’un troisième en copropriété avec Rémi, le frère de Marie-Josée. En tout, la famille possède quelque 5 300 érables et chaque printemps, le travail acéricole s’ajoute aux diverses opérations d’aménagement et d’entretien.

Même s’il entend passer le flambeau, Éric aimerait bien rester près de ses enfants et jouer un rôle de mentor, le temps venu. Pour l’instant, il souhaite poursuivre son engagement et faire le travail de représentation nécessaire pour que la forêt privée soit reconnue comme le moteur économique qu’elle est. « La forêt privée, c’est une toute petite partie de la forêt québécoise, mais elle est importante! On a besoin d’une voix pour faire valoir nos droits », conclut le père, avec un clin d’oeil complice du fils.


Article paru dans le journal L’U, novembre 2017

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