capture-pierre-maurice-gagnon-edito

Dans une société où l’individualisme prime, la mise en marché collective ne représente-t-elle pas une approche d’une autre époque? Chaque producteur ne serait-il pas mieux s’il pouvait vendre son bois aux conditions de son choix? Deux raisons me font pencher vers l’approche collective encore aujourd’hui.

Premièrement, l’information sur les marchés du bois est mal partagée entre tous les acteurs concernés. Les prix du bois peuvent changer rapidement. Les qualités affectant le prix sont nombreuses. Les unités de mesure sont mêlantes. Les facteurs de conversion déroutent les plus expérimentés. Le producteur ignore les autres offres de bois sur le marché. Il en sait moins que l’acheteur sur l’évolution des prix des produits manufacturés par l’usine. Il ne sait pas toujours ce que fait cette dernière avec son bois. Il ignore le prix qu’obtient l’usine pour ses copeaux. Le producteur en sait peu sur les coûts de transport du bois.

Deuxièmement, même le producteur le mieux informé détient un pouvoir de négociation limité. Si la concentration de l’industrie est bonne pour les compagnies forestières, elle l’est moins pour leurs fournisseurs de fibre. Des milliers de producteurs forestiers doivent ainsi transiger avec quelques usines, parfois une seule, pour une partie de leur récolte. Ceux parmi nous se croyant plus habiles ignorent les conditions obtenues par leur voisin.

La mise en marché collective permet de corriger en partie ces imperfections du marché par la diffusion d’information aux producteurs et la négociation de conditions de vente pour l’ensemble, ce qui accroît les possibilités pour tous d’obtenir un prix équitable.

Évidemment, les individus qui bénéficieraient d’une situation de libre marché luttent contre cette approche qui semble réduire leurs profits. Je dis semble, car la mise en marché collective génère également plusieurs avantages trop souvent oubliés ou banalisés par les acheteurs de bois.

Un marché transparent accroît la confiance de tous les acteurs de la filière : propriétaire, producteur-entrepreneur, transporteur et transformateur. Cela se traduit par une hausse de l’activité de tous les maillons de la chaîne. La transmission d’informations permet également d’harmoniser les normes de façonnage selon les exigences des usines et de diriger le bois au meilleur endroit pour le producteur et le transformateur. De plus, le maintien de petits producteurs est bon pour la vitalité des communautés rurales; ces mêmes communautés qui fourniront de la main-d’oeuvre aux usines. La mise en marché collective réduit même les frais des usines dédiés à la gestion des fournisseurs, puisque les associations se chargent de cette opération.

Que perdent alors les producteurs de bois dans ce système? L’impression d’un faux sentiment de liberté.

Pierre-Maurice Gagnon
Producteur et Président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de novembre 2017