Les propriétaires forestiers du monde entier sont interpellés par la lutte contre les changements climatiques.
D’une part, leurs boisés subiront les effets des modifications de notre climat. La migration d’espèces végétales envahissantes et de nouveaux insectes ravageurs, l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles dévastant les forêts et l’accroissement des périodes de sécheresse en sont déjà des exemples frappants. Ce constat appelle des modifications dans les recommandations des ingénieurs forestiers sur les interventions sylvicoles à préconiser, la sélection des plants à reboiser et la gestion du territoire forestier.
D’autre part, les propriétaires forestiers disposent des actifs pour contribuer à la séquestration de carbone. Bien que les moyens de comptabiliser cette contribution fassent l’objet de débats entre experts, il est acquis que les arbres emmagasinent du carbone en grandissant et en émettent au cours de leur décomposition.
Pour être efficaces dans cette lutte contre les changements climatiques, les politiques de soutien aux propriétaires forestiers devront cependant tenir compte des caractéristiques des forêts privées.
- L’afforestation, c’est-à-dire le reboisement de terrains non forestiers, présente un potentiel de séquestration de carbone limité sur le territoire privé québécois en raison des superficies disponibles (un constat qui peut s’avérer différent dans d’autres pays). À l’inverse, l’accroissement du stock forestier des forêts existantes grâce à des interventions sylvicoles appropriées présente un meilleur potentiel. En d’autres mots, la sylviculture peut permettre d’accroître le volume de bois à l’hectare dans les forêts dans une période donnée, et cette augmentation doit constituer un gain dans un bilan de carbone.
- La récolte des forêts présentant un risque de destruction est essentielle afin d’éviter que celles-ci deviennent émettrices de carbone à la suite d’un feu ou d’une épidémie d’insectes. L’actuelle épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, touchant 14 % du territoire de la forêt privée en 2018, est un bon exemple. Il est donc nécessaire de récolter les arbres en perdition, de les transformer en produits forestiers et de reboiser les sites touchés afin d’obtenir un gain dans le bilan de carbone.
- Le morcellement du territoire forestier et non forestier en des dizaines de milliers de propriétés exige une formule d’agrégation des gains de séquestration de carbone, simple pour chacun des propriétaires, mais crédible pour les autorités responsables de cette comptabilité. Il est irréaliste de penser que chacun des propriétaires participera directement au marché du carbone. À cet égard, nous pouvons compter sur l’expérience de la certification forestière pour nous dicter quoi faire et ne pas faire. Au Québec, les propriétaires forestiers disposent aussi d’organisations pouvant être fort utiles dans cette démarche.
- Le soutien financier gouvernemental pour réaliser des travaux sylvicoles chez les propriétaires forestiers devra être maintenu, voire augmenté, pour accroître cette lutte contre les changements climatiques. Voilà 50 ans que le gouvernement du Québec investit dans la mise en valeur des forêts privées. Aujourd’hui, un nouvel objectif de séquestration de carbone s’ajoutera à ce travail sur le terrain.
La prise en compte de ces éléments demande de meilleurs échanges entre la communauté scientifique étudiant les changements climatiques, les autorités gouvernementales définissant les politiques pour y faire face et les représentants des propriétaires forestiers détenant une connaissance de la réalité du terrain. Autrement, les protocoles de séquestration de carbone marginaliseront le travail des dizaines de millions de propriétaires forestiers de partout dans le monde.
La Fédération des producteurs forestiers du Québec, la Fédération canadienne des propriétaires de boisés et l’Alliance internationale pour la foresterie familiale poursuivront les représentations à leur échelle pour sensibiliser les autorités à cette question.
Pierre-Maurice Gagnon
Producteur et Président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec
Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de septembre 2019.