Éditorial – Forêts de chez nous – mai 2014
 
Est-il normal que l’État concurrence des entreprises au point de compromettre leur activité? C’est pourtant la situation vécue par les propriétaires et producteurs forestiers québécois qui voient leur accès aux marchés du bois rétrécir sous l’effet de la récolte de bois sur les terres publiques. Historiquement, environ 20 000 propriétaires forestiers, dont 3 000 à temps plein, contribuaient chaque année à 17 % de l’approvisionnement en bois rond des usines du Québec. Aujourd’hui, leur part de marché n’est plus que de 14 % malgré un contexte de reprise dans le secteur forestier qui accroit la demande industrielle pour le bois. Un paradoxe lorsque l’on constate que plus de 30 % de la possibilité de récolte totale du Québec se trouve désormais sur le territoire privé.
 
Le législateur a convenu à plusieurs reprises que les propriétaires et producteurs forestiers ne faisaient pas le poids face aux opérations dans la grande forêt publique. Dès 1957, il leur a légalement permis de se regrouper pour agglomérer leur offre de bois et accroître leur pouvoir de négociation. En 1990, il a déterminé que la forêt publique devait constituer une source résiduelle d’approvisionnement des usines lorsque les bois de sources prioritaires, dont les forêts privées, étaient insuffisants pour combler la demande industrielle. Ce statut fut d’ailleurs reconduit en 2009 dans le nouveau régime forestier.
 
Pour répondre aux demandes répétées des industriels d’obtenir davantage de garanties d’approvisionnement en bois de la forêt publique, le gouvernement doit les diriger vers les syndicats de producteurs forestiers pouvant offrir des garanties semblables avec le bois des forêts privées. Nous n’alimenterons pas à nous seuls les usines, mais nous faisons partie de la solution.
 
Autrement, nous n’utiliserons le plein potentiel de récolte des forêts privées que lors des hauts de cycle économique lorsque toutes les autres sources d’approvisionnement auront trouvé preneurs. Sans marché, le nombre de propriétaires forestiers engagés dans des activités sylvicoles déclinera et il sera plus difficile de les mobiliser sur une base temporaire. En période de forte demande, il manquera alors de producteurs forestiers, d’entrepreneurs pour effectuer les récoltes et de transporteurs de bois. La nature des activités et des motivations des propriétaires forestiers québécois changera et sera moins axée sur la récolte de bois. Tous ces changements seront négatifs pour la vitalité des communautés rurales.
 
Actuellement, l’impulsion gouvernementale est de soutenir les industriels forestiers qui tentent de se refaire une santé financière après une période très difficile. Tant mieux, puisque ce sont nos clients. Toutefois, les propriétaires et producteurs ont traversé les années de crise sans soutien supplémentaire de l’État. Ils ont plutôt vu leurs conditions se détériorer et ont dû consentir des baisses drastiques de prix pour leurs bois sur plusieurs marchés.  Il faut donc comprendre leur volonté de bénéficier de la relance dans le secteur forestier et leur réaction lorsqu’ils voient des camions de bois de la forêt publique passer devant leurs lots inexploités. Comme tous les dossiers, tout n’est pas noir ou blanc. Le gouvernement devra distinguer les industriels misant déjà sur la forêt privée québécoise de ceux, moins nombreux, qui la négligent.
 
Pierre-Maurice Gagnon
Président et producteur forestier