Le marché du bois d’œuvre est tombé abruptement de son nuage en 2023. L’euphorie et les records ont rapidement laissé place à la déception. La demande nord-américaine a glissé de 1,9 % alors que le marché immobilier subissait le choc d’une hausse des taux d’intérêt. Il n’en fallait pas plus pour que le prix du bois d’œuvre s’effondre de 44 %.
À première vue, le marché amorce l’année 2024 comme il a terminé 2023 : au ralenti et dans l’espoir de jours meilleurs. Il faut dire que l’inflation persistante en ce début d’année exerce une influence significative sur les décisions de la Réserve fédérale et de la Banque du Canada de maintenir les taux d’intérêt élevés. Les Nord-Américains attendent avec impatience des baisses de taux maintes fois annoncées par les prévisionnistes, mais sans cesse repoussées par les banques centrales. Comment peuvent-elles faire autrement?
L’économie américaine s’active au-delà de son potentiel et l’inflation demeure au-dessus du niveau désiré (bien qu’elle soit sur la bonne trajectoire descendante). Pendant ce temps, la Banque du Canada est forcée de retarder son action par crainte de créer un trop grand écart de taux avec nos voisins américains.
L’attentisme caractérise le marché de la construction. Après un trimestre en 2024, le rythme de mises en chantiers aux États-Unis a atteint 1,49 M d’unités, en hausse de 2,8 % sur un an, mais encore en deçà du niveau de construction réalisé au cœur de la pandémie. Ce rythme demeure encore loin des 2,0 M d’unités nécessaires pour loger les nouveaux ménages formés chaque année et remplacer les logements obsolètes. D’après un consensus de prévisions, il manque au moins 2 M de maisons unifamiliales aux États-Unis et probablement 0,6 M de résidences multifamiliales pour loger l’ensemble des ménages. Il faut dire que le surplus de construction ayant causé la crise immobilière en 2008 a depuis longtemps été éliminé, car le rythme de mises en chantiers est toujours demeuré inférieur à celui de formation de ménages depuis.
La rareté croissante de logements devra se traduire par une hausse de la construction. Les constructeurs n’attendent qu’un retour en masse des acheteurs pour accélérer les mises en chantiers. Retour qui sera précipité par une baisse éventuelle de taux, encore qu’elle soit significative. Les banques centrales demeurent nébuleuses sur leurs intentions, mais les économistes anticipent une première baisse de taux en septembre ou novembre 2024. Toutefois, il y a fort à parier que les baisses seront lentes et graduelles afin d’éviter de tomber dans une spirale inflationniste.
On prévoit d’ailleurs que les mises en chantier américaines stagneront en 2024, puis progresseront de presque 4 % en 2025. Le segment des unifamiliales, si important pour la demande de matériaux en bois, fera toutefois mieux puisqu’il augmentera de 4,7 % en 2024 puis de 4,2 % en 2025.
Il reste à voir si cette embellie se traduira aussi par une amélioration de la construction résidentielle au Canada. En l’absence d’une baisse de taux pouvant stimuler l’activité immobilière, le gouvernement Trudeau a profité de son plus récent budget pour multiplier les annonces dans l’optique de résorber la crise du logement. Est-ce que ce sera suffisant pour stimuler la construction et incidemment la demande en matériau de bois?
Nous anticipons aussi une hausse des projets de rénovation qui ont représenté plus de 40 % de la consommation de bois d’œuvre ces dernières années. La demande en bois d’œuvre devrait donc s’améliorer suffisamment dès cette année pour rattraper la glissade de l’an dernier. Les prévisionnistes travaillent sur une croissance de la consommation de bois d’œuvre de 3,0 % en 2024, suivi d’une hausse de 4,5 % en 2025.
Une demande atone et une saison de feux de forêt catastrophique au Canada ont ralenti la production des scieries l’année dernière (-2,0 % en 2023). La baisse a été plus marquée au Canada (-4,2 %) qu’aux États-Unis (-0,8 %). En particulier, le Québec (-7,8 %) a enregistré la plus forte diminution de production, principalement en raison des incendies de forêt qui ont perturbé les opérations. Les scieries s’approvisionnant principalement en forêt privée ont néanmoins été épargnées de ces déboires. En effet, le volume de bois de sciage de sapin-épinette mis en marché par les producteurs forestiers du Québec a stagné (+0,1 %) au cours de cette période.
Le début de 2024 semble marquer une reprise de la production de bois d’œuvre, mais serait-il un leurre ? Après 2 mois, la production québécoise a rebondi de 14%, cependant les inventaires atteignent un niveau inégalé en une décennie. Ces données préliminaires indiquent-elles un ralentissement des ventes contrairement aux attentes ? Pendant ce temps, la production canadienne a augmenté de 5,2%, tandis que celle des États-Unis s’est atténuée de 1,0%.
Les contraintes d’approvisionnement et la hausse des coûts de production ont poussé de nombreuses scieries à opérer à perte depuis un certain temps, comme en témoignent les nombreuses fermetures observées récemment. Il est légitime de craindre une reprise tardive qui provoquerait d’autres fermetures dans les mois à venir. Nonobstant, les prévisionnistes projettent une hausse de la production de bois d’œuvre de 1,4% en 2024 et d’environ 5% en 2025, bien que les incendies de forêt demeurent une menace pour l’été 2024.
Le prix du bois d’œuvre a chuté brutalement en 2023 (-44 %). Nous anticipons que le renforcement de la demande en raison d’un déficit structurel de logements soutiendra les prix dans les années à venir. Loin des records, il s’agira néanmoins d’une transition vers la croissance après une année 2023 décevante. Ce déclenchement sera tributaire d’une normalisation des taux d’intérêt. Malgré tout, pour l’instant, diverses prévisions permettent d’anticiper une hausse moyenne des prix de 7,8 % en 2024. Si la tendance se maintient, les prix pourraient même progresser de 8,1 % en 2025.