Après une surprenante course ininterrompue depuis le début du mois d’avril, le prix du bois d’œuvre a dépassé les 1 200 $ CA/MPMP à la fin août. Il s’agit d’un bond vertigineux puisque le prix avoisinait les 600 $ CA/MPMP avant que la pandémie ne prenne de l’ampleur à la mi-mars. L’explosion des prix s’explique par les interventions gouvernementales et un enchaînement de comportements spécifiques à la crise sanitaire. Faisons ici la chronologie de cette hausse de prix record.

Mars : Le spectre d’une récession économique faisait les manchettes, provoquant la chute des cours boursiers des principales compagnies forestières alors que le prix du bois d’œuvre flanchait. Les milieux financiers et les dirigeants de ces entreprises anticipaient alors une profonde réduction de la consommation de bois d’œuvre en Amérique du Nord en 2020, considérant que certains chantiers de construction risquaient d’être paralysés et que l’enthousiasme pour le secteur immobilier allait s’estomper. Pour faire face à la situation, les scieurs nord-américains ont procédé à la fermeture préventive de nombreuses unités de production.

Avril : Les premiers chèques de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et de son généreux équivalent américain ont permis à des millions de ménages nord-américains de conserver un niveau de vie comparable à celui d’avant la crise, et ce, malgré un taux de chômage record des deux côtés de la frontière. Avec la fermeture des commerces au détail, des restaurants et des frontières nationales à des fins touristiques, les consommateurs nord-américains ont redirigé une partie de leur budget vers les projets de rénovation. Cet engouement a eu un impact très important pour la demande de bois d’œuvre, puisque près de 40 % de la demande nord-américaine provient normalement de ce secteur. Toutefois, les fermetures préventives des scieries ont amputé du tiers la production canadienne comparativement à l’année précédente.

Mai : La plupart des producteurs de bois d’œuvre ont tenté de relancer leur production, voyant que le boom dans la rénovation avait pratiquement comblé le vide occasionné par la débâcle du secteur de la construction. Le succès fut mitigé, car la production canadienne de bois d’œuvre affichait toujours une baisse de 18 % sur un an. Cette sous-production des mois d’avril et de mai a initié une raréfaction du bois d’œuvre dans la chaîne d’approvisionnement, qui s’est soldée par une récupération rapide du prix du bois d’œuvre. Le terrain perdu au pire de la crise sanitaire était pratiquement récupéré dès la mi-mai, alors que la valeur du bois d’œuvre au comptant avoisinait les 550 $ CA/MPMP.

Juin : La construction résidentielle aux États-Unis et au Canada a dépassé toutes les attentes en rattrapant pratiquement tout le retard creusé en début de saison. Ce rebond a permis à la demande de bois d’œuvre en provenance de ce segment de retrouver un niveau comparable à l’an dernier. La vitesse et l’ampleur de la reprise du secteur immobilier sont surprenantes étant donné la récession qui sévit actuellement. Évidemment, des facteurs conjoncturels ont accéléré la cadence de la construction résidentielle. Pensons notamment aux taux hypothécaires ramenés au plancher en temps de crise ainsi qu’une augmentation sans précédent du revenu disponible en lien avec l’implantation de programmes d’aide gouvernementaux.

Juillet et août : Quoi qu’il en soit, les producteurs de bois d’œuvre n’ont pas été en mesure de rattraper le retard cumulé dans les commandes comme l’ont fait les constructeurs, notamment en raison de la hausse de la demande du segment de la rénovation qui s’est poursuivie durant l’été. Ce déficit de production a engendré une course pour sécuriser des approvisionnements, provoquant une ascension vertigineuse des prix du bois d’œuvre à partir de la mi-juillet.

Prix moyen mensuel du bois d'oeuvre (contrat à terme de l'indice Random Lengths en $ CA/MPMP)

Il serait très étonnant que le prix du bois d’œuvre demeure au niveau du mois d’août bien longtemps (1 000 $ CA/MPMP). Généralement, le mois d’octobre s’accompagne d’un ralentissement significatif dans le secteur de la construction résidentielle. Ce sera un bon moment pour les producteurs de bois d’œuvre pour maintenir la cadence afin de rattraper le déficit de production qu’ils n’ont pas été en mesure de résorber durant l’été. À plus long terme, il est difficile de trancher sur l’orientation du prix du bois d’œuvre. Des facteurs structurels accroissent la demande de bois d’œuvre, comme l’implantation du télétravail à grande échelle qui favorise la construction de résidences unifamiliales au détriment des condos et appartements dans les milieux urbains. Il faut aussi compter sur l’impact des millénariaux qui accèdent de plus en plus à une propriété. Rappelons que la cohorte, âgée entre 27 et 31 ans, de cette génération est 10 % plus nombreuse que les précédentes, ce qui accroît d’autant plus la demande résidentielle.

Il reste maintenant à déterminer si les facteurs qui ont soutenu la hausse des prix du bois d’œuvre compenseront les risques. Parmi ces facteurs, notons un taux de chômage élevé et la diminution ou l’arrêt des programmes de soutien gouvernementaux qui s’accompagneront probablement par une hausse marquée des reprises de faillite sur les marchés immobiliers d’Amérique du Nord. Ces facteurs contribueront probablement à l’éclatement de la bulle de prix du bois d’œuvre. Même si un recul des prix est à prévoir pour les prochains mois, il est important de rappeler que l’industrie du sciage au Québec est en mesure de générer des profits même lorsque le prix du bois d’œuvre avoisine les 550 $ CA/MPMP.