Dans les deux dernières années, l’activité immobilière nord-américaine a été à son plus fort depuis la crise financière de 2008 au grand bénéfice de l’industrie forestière. La pandémie qui a d’abord provoqué une crise économique sans précédent, fut suivie par une reprise spectaculaire.

Les efforts des gouvernements pour relancer l’économie (baisse des taux d’intérêt, subventions directes, prêts, achat massif d’obligations) ont eu pour effet de créer un contexte favorable à l’investissement immobilier. Le transfert des dépenses discrétionnaires (restauration, voyages et sorties culturelles) des ménages vers les actifs tangibles comme l’immobilier a amplifié ce phénomène. La stimulation des investissements en rénovation et en construction domiciliaire en Amérique du Nord a créé un contexte particulièrement favorable pour les produits de construction en bois. Ces derniers ont bénéficié d’une demande accrue qui, couplée avec des problématiques de logistique et d’approvisionnement, a créé un environnement de prix records sans précédent.

Cependant, l’effervescence de la reprise a laissé place à l’incertitude. Tout d’abord, l’inflation initiée par les mesures de relance économique s’est vue amplifiée par les effets collatéraux de l’invasion russe en Ukraine. Les représailles économiques des pays occidentaux, notamment le boycottage des produits russes, ont entraîné une forte hausse du prix de certaines commodités, dont les produits pétroliers. Puisque la hausse du prix à la pompe a un effet inflationniste important sur l’ensemble de l’économie, cette situation engendre une inflation jamais vue en 30 ans. La situation s’envenime avec les nouvelles mesures de confinement en Chine qui accroissent le prix de certains produits de consommation et mettent sous tension la chaîne logistique.

Ensuite, la guerre en Ukraine a également un autre effet pervers sur l’économie mondiale. Selon le Fonds monétaire international, les dégâts économiques engendrés contribueront à un net ralentissement de la croissance mondiale. Ce contexte particulier pourrait mener à un épisode de stagflation qui est un phénomène où se conjuguent une forte inflation et la stagnation de l’activité économique, créant par ricochet un taux de chômage élevé et un cercle vicieux économique. Le dernier épisode de stagflation vécu en Amérique du Nord remonte aux années 70 et 80, situation qui avait été déclenchée par la crise pétrolière et qui avait été jugulée par une très forte hausse des taux d’intérêt. Actuellement, l’économie poursuit sa croissance, mais plusieurs économistes entrevoient des risques de récession aussi tôt que d’ici la fin 2022.

Dans tous les cas, de nouvelles hausses de taux directeurs sont à prévoir pour calmer l’inflation galopante. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a augmenté de 0,75 % son taux directeur le 15 juin dernier afin de contrer l’inflation qui a culminé à 8,6 % en mai (à son plus haut niveau depuis 1991). Selon le comité de politique monétaire de la Réserve fédérale, le taux directeur augmentera à 3,4 % d’ici la fin de l’année (par rapport à 1,5-1,75 % actuellement). Au Canada, le taux directeur est actuellement à 1,5 % et devrait passer à 3,25 % d’ici la fin de l’année. La hausse des taux directeurs se traduit par une hausse des taux d’intérêt, réduisant la capacité d’emprunt.

Au-delà des coûts d’emprunt hypothécaire qui augmentent, la mauvaise performance de la Bourse dans les derniers mois a diminué les mises de fonds disponibles pour un achat immobilier, ce qui ralentit la frénésie du secteur. Selon NBC, le paiement hypothécaire moyen des nouveaux achats immobiliers aux États-Unis a progressé de 51 % au cours de la dernière année. Il s’agit de toute évidence d’un rythme haussier insoutenable à long terme. Parallèlement, l’inventaire des maisons neuves invendues aux États-Unis est à son plus haut niveau depuis 2007, signe que nous sommes peut-être dans une bulle immobilière.

Le ralentissement de l’activité immobilière se fait sentir sur les mises en chantier aux États-Unis. Entre le mois d’avril et de mai 2022, le rythme des mises en chantier a reculé de 14 %, dont 9,2 % pour les constructions unifamiliales. La conséquence immédiate de ce ralentissement est une baisse de la demande pour les matériaux de construction en bois. Cette baisse de la demande survient au même moment où les scieries et autres usines de panneaux tentent d’accroître l’offre pour bénéficier d’un environnement de prix très lucratif.

En outre, depuis l’hiver dernier, l’état de la chaîne d’approvisionnement des produits forestiers s’est partiellement rétabli, permettant un écoulement plus fluide des inventaires vers les marchés. L’offre répond ainsi plus convenablement à la demande. Cette conjoncture a causé une chute brutale du prix des matériaux de construction en bois. La valeur du bois d’œuvre a chuté de 51 % depuis le sommet de 1 640 $CA/MPMP atteint le 10 mars dernier. Au cours de cette même période, le prix des panneaux OSB a chuté de 75 % pour atterrir à 320 $/1 000 pi2.

L’avenir demeure truffé d’incertitude à savoir si ce ralentissement perdurera ou si nous assisterons encore à un rebond du prix des matériaux de construction en bois. D’un côté, la baisse de la possibilité forestière en Colombie-Britannique qui a pour effet de diminuer l’offre potentielle de bois d’œuvre en Amérique du Nord et le conflit du bois d’œuvre exercent toujours une pression à la hausse sur les prix. Dans l’éventualité où des mesures sanitaires devaient à nouveau être imposées ou si des aléas climatiques (incendies, inondations, ouragan, etc.) survenaient, ce type d’événement pourrait exercer une pression à la hausse sur les prix en raison de leur impact négatif sur la chaîne d’approvisionnement.

De l’autre côté de la médaille, le risque de récession économique et les conditions apparentes de bulle immobilière exerceraient certainement une pression à la baisse sur la demande et le prix des matériaux en bois. La demande demeure pour l’instant ferme. À titre d’exemple, celle du bois d’œuvre n’a fléchi que de 1,4 % au cours du premier semestre de l’année. Néanmoins, la situation pourrait rapidement se détériorer si une récession survenait, si l’inflation continuait de progresser et si les taux d’intérêt explosaient.

En conclusion, il est actuellement très difficile de prévoir l’évolution de la demande et du prix des produits du bois, mais dans tous les cas, nous devrions entrer dans un environnement de prix plus normal et moins volatil considérant l’amélioration de la chaîne d’approvisionnement. Selon les analystes forestiers, les prix devraient se maintenir tout de même au-dessus des prix moyens prépandémiques en dépit de la tempête économique qui semble se pointer à l’horizon.