En mars 2015, un bûcheron s’est sectionné l’artère fémorale avec sa scie à chaîne dans une érablière de la Montérégie. Entre 2010 et 2014, 16 autres travailleurs sont morts au Québec dans le secteur de la forêt et des scieries. Voici quelques conseils qui pourraient sauver votre vie ou, à tout le moins, améliorer votre efficacité au travail.
L’accident cité en introduction est celui d’Éric Séguin, 39 ans, de Rigaud. En tentant d’envoyer au sol un merisier encroué dans un autre arbre, il a perdu le contrôle de sa scie, laquelle a heurté sa jambe près de l’aine, juste au-dessus des éléments de protection de son pantalon de sécurité. La profonde lacération s’est avérée mortelle. L’avis de décès indique qu’il laisse dans le deuil sa conjointe et son jeune fils.
Un autre décès en forêt privée a eu lieu en 2015, en Chaudière-Appalaches, où un bûcheron d’expérience a été trouvé mort sous un hêtre. Celui-ci s’ajoute aux nombreuses blesses, mineures ou majeures, qui surviennent chaque année.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) attribue la plupart des décès à l’utilisation de techniques de travail jugées « inappropriées et dangereuses » en forêt.
Or, le bûcheron d’aujourd’hui dispose de plusieurs sources d’information qui lui permettent d’améliorer ses techniques d’abattage et sa sécurité en forêt. À ce sujet, voici une série de recommandations constructives de Gaétan Grondin, un bûcheron de longue date et formateur accrédité par la CNESST.
Équipements adéquats
Certaines personnes entreprennent leur travaux forestiers à la hâte et ne veulent pas se contraindre à enfiler l’équipement de sécurité. Erreur! « C’est incompréhensible que des gens partent encore bûcher en souliers. D’autres se sentent en sécurité avec des bottes à embout d’acier, mais contrairement à la croyance populaire, ce type de bottes ne protège pas d’une scie à chaîne. C’est comme partir bûcher en sandales équipées d’embouts d’acier. Il faut de vraies bottes de protection, qu’on reconnaît par le logo en forme de sapin », lance M. Grondin. Ce dernier met également les gens en garde contre les pantalons dits « forestiers », qui ne présentent pas les éléments de sécurité aussi complets que les pantalons certifiés CAN/BNQ 1923-450-M91, catégorie A.
Et ce n’est pas lors d’une situation d’urgence qu’il faut commencer à chercher la trousse de premiers soins. Une bonne idée consiste à la laisser près du carburant destiné à ravitailler la scie. De plus, coller un pansement compressif au fond de son casque permettra d’agir rapidement en cas d’hémorragie.
Dans le rapport de la CNESST concernant l’un des accidents mortels subi par un abatteur en forêt privée, on peut lire que le régime moteur de la scie mécanique était trop élevé à bas régime et que la tension de la chaîne était insuffisante. « L’état général de la scie peut avoir un lien avec la gravité de l’accident. La chaîne mal ajustée peut produire des rebonds plus violents et rendre la scie plus instable », a expliqué la CNESST. Pour améliorer la sécurité et la performance au travail, la chaîne de la tronçonneuse doit être affûtée et sa tension, bien réglée.
Analyse des dangers
Avant d’appuyer à fond sur l’accélérateur de sa scie, le bûcheron doit analyser le secteur entourant l’arbre à abattre pour détecter la présence de branches suspendues, les obstacles au sol et les autres sources de danger. Il examine l’inclinaison de l’arbre et enlève les tiges près de celui-ci, qui pourraient nuire à son travail, et prend le temps de dégager une voie de retraire de 2 m de profondeur. Puis, il décide du type d’entaille à faire, de l’épaisseur de la charnière, des outils à utiliser, etc. « C’est la prière du bûcheron qu’il faut réciter avant chaque abattage », mentionne M. Grondin.
L’entaille de direction s’effectue sur le tiers du diamètre et consiste en un trait supérieur à 45 degrés. Finalement, de l’autre côté de l’arbre, le trait d’abattage doit être effectué à au moins 2,5 cm au-dessus du trait inférieur. Il importe de ne pas compléter le trait d’abattage jusqu’au bout afin de créer une charnière.
« Le principe de la charnière est méconnu de plusieurs bûcherons, même de ceux qui sont expérimentés. Il s’agit de laisser une partie non sciée, qui correspond à 1/10 du diamètre de l’arbre, entre l’entaille de direction et le trait d’abattage. La charnière contrôle la chute de l’arbre et évite, comme ça s’est déjà produit, qu’il roule à côté de la souche et tombe sur le pied du bûcheron, ou encore, que l’arbre rebondisse sur la souche et vienne frapper l’abatteur », explique M. Grondin.
Trait d'abattage
Les bûcherons détestent coincer leur scie; une situation qui se produit souvent lorsqu’il faut faire tomber l’arbre dans une autre direction que cette de son inclinaison naturelle. Le truc : un trait d’abattage en deux étapes. Concrètement, après avoir créé l’entaille de direction, l’opérateur effectue une première portion du trait d’abattage, du côté vers lequel l’arbre penche. Il retire sa scie et insère un coin. Ensuite, il termine l’autre portion du trait d’abattage. Et le tour est joué. Avec le levier d’abattage ou le coin, la scie ne peut se coincer.
Comment abattre un chicot?
« Les arbres morts sont des « faiseux » de veuves légendaires. Juste par la vibration de la scie, une branche peut se détacher du haut et tomber sur le bûcheron. Idéalement, tu ne coupes pas un chicot; tu le fais tomber avec le treuil forestier en t’éloignant le plus possible », recommande M. Grondin. À défaut d’avoir de l’équipement motorisé, le bûcheron coupe le chicot vers son inclinaison naturelle en ne restant pas sous des branches mortes. Il procède à l’entaille de direction et au trait d’abattage debout, la scie au niveau de la ceinture, afin de pouvoir s’éloigner rapidement en cas de danger. De même, le bûcheron doit toujours avoir l’oeil sur la cime du chicot au moment où il tombe. Afin de compenser la faiblesse du bois, la charnière doit être plus épaisse que le 1/10 du diamètre recommandé habituellement.
Quoi faire lorsqu'un arbre est très penché?
Lorsqu’un arbre penche fortement dans une direction et qu’il est chargé de neige ou de verglas, il risque de fendre sur la longueur lors de l’abattage. « J’ai déjà vu des gars avoir peur dans des arbres ont éclaté en longueur. C’est comme un coup de fouet », assure M. Grondin. La technique consiste à effectuer une entaille de direction, avec un trait supérieur à 45 degrés et un trait inférieur horizontal. Plutôt que de faire un trait d’abattage en commençant par l’arrière de l’arbre, il suffit de percer une fente jusqu’à l’autre côté du tronc tout en laissant une partie non coupée à l’arrière de l’arbre appelée talon. Celui-ci empêche l’arbre de tomber. Par la suite, le bûcheron coupe le talon et l’arbre tombe sécuritairement.
Lorsque les arbres sont trop petits pour qu’il puisse faire une entaille de direction et un talon, le bûcheron fait simplement deux entailles en forme de V. La pointe du V indique la direction de la chute. Finalement, un trait d’abattage est effectué comme à l’habitude par l’arrière.
Que faire avec un arbre encroué?
Au moment de la chute, l’arbre peut s’enchevêtrer dans d’autres arbres et rester encroué. Cette situation dangereuse commande idéalement de le tirer avec un treuil forestier. Mais si ce type d’équipement n’est pas disponible, Gaétan Grondin recommande de scier une partie de la charnière. Le bûcheron prend ensuite son levier d’abattage pour faire rouler l’arbre, une manoeuvre parfois suffisante pour déprendre celui-ci et le faire tomber au sol. Lorsque l’arbre ne bouge pas, par exemple s’il est pris au centre d’un autre arbre en forme de Y, la situation se corse. Le formateur suggère de couper une première section près du sol, ensuite une deuxième en ne portant jamais la scie plus haut que le torse.
Comment couper une branche sous tension?
L’ébranchage demeure propice aux accidents en raison de la tension exercée sur certaines branches, qui peuvent rebondir à tout moment. « Quand un bûcheron regarde un arbre au sol, il doit repérer les zones de compression et de tension. S’il fait un seul trait de scie en commençant dans la zone de compression, il risque de coincer sa lame. S’il coupe uniquement dans la zone de tension, il peut recevoir la branche en plein visage, comme un ressort », indique M. Grondin. Le rebond de la branche peut également faire dévier la lame sur le travailleur.
Lorsque la tension est verticale, le bûcheron doit tenir sa scie de sorte que son corps ne se trouve pas dans la trajectoire de la lame, afin de pallier le risque élevé de rebond. Ensuite, il fait un trait de scie dans la zone de compression selon une profondeur qui correspond au quart du diamètre de la branche. Il effectue le trait de scie final de l’autre côté, dans la zone de tension. Quand l’arbre est appuyé sur un autre encore debout, la tension est latérale. Le bûcheron doit alors se protéger en se plaçant derrière l’arbre qui est debout.
Respectez-vous la loi?
Une formation de 16 heures sur l’abattage d’arbres est obligatoire depuis 2013 conformément au Règlement sur la santé et la sécurité dans les travaux d’aménagement forestier. Certains acériculteurs, agriculteurs et propriétaires de boisés privés sont concernés par cette formation obligatoire, d’autres non. Voici comment s’y retrouver :
- Un agriculteur qui coupe un arbre derrière sa grange : formation non obligatoire;
- Un propriétaire d’entreprise (un agriculteur, un producteur forestier ou un acériculteur) qui coupe seul des arbres dans sa forêt pour produire du bois de chauffage, vendre le bois en billes, éliminer les arbres morts et effectuer tous les autres types de travaux d’aménagement forestiers : formation non obligatoire;
- Un propriétaire d’entreprise qui coupe des arbres dans sa forêt pour tous types de travaux d’aménagement forestiers, accompagné de quelqu’un qui est payé pour ramasser les branches : formation obligatoire pour le propriétaire et non obligatoire pour l’autre personne;
- Un propriétaire d’exploitation qui coupe des arbres dans sa forêt pour tous types de travaux d’aménagement forestier, accompagné d’un employé qui manie également une scie mécanique pour couper des arbres ou les ébrancher : formation obligatoire pour le propriétaire et l’employé. À noter qu’une personne « payée au noir » et même celle qui reçoit simplement quelque chose en échange de son travail (par exemple du bois de chauffage) est considérée comme un employé selon la CNESST;
- Un propriétaire d’entreprise qui coupe des arbres dans sa forêt pour tous types de travaux d’aménagement forestier, accompagné d’un membre de sa famille qui utilise aussi une scie mécanique : formation non obligatoire pour ni l’un ni l’autre. Mentionnons que le membre de la famille ne doit pas être rémunéré en argent ou de toute autre façon que ce soit. Autrement, il sera considéré comme un employé;
- Un employé qui coupe un arbre situé près d’une grange ou qui est tombé dans un chemin, ce qui n’est pas considéré comme de l’aménagement forestier: formation de 16 heures non obligatoire. Par contre, la CNESST exigera qu’il ait suivi une formation sur l’utilisation sécuritaire de la scie à chaîne.
Le propriétaire doit également remplir une ficher de suivi pour son employé, chaque année, sur les travaux d’abattage manuel qui ont lieu chez lui. Cette fiche requiert notamment l’analyse de 10 souches afin de savoir si l’abattage des arbres a été effectué en conformité avec les techniques enseignées dans la formation.
« Si un propriétaire n’a jamais rempli de fiche et qu’un accident survient, il est dans le pétrin », conclut Gaétan Grondin.
16 heures "payantes"
Une formation de 16 heures sur l’abattage est offerte dans la plupart des régions à un coût raisonnable (30 $ dans certains syndicats de producteurs forestiers). Le site www.foretprivee.ca présente le calendrier des cours dispensés. Celui du www.cnesst.gouv.qc.ca affiche le nom de certains formateurs.
Des propriétaires de boisés peuvent être rébarbatifs à l’idée de suivre une telle formation, mais force est de constater qu’il s’agit d’un cours élaboré par des spécialistes expérimentés. Il permet aux bûcherons, autant les débutants que ceux qui possèdent déjà de bonnes connaissances, d’améliorer significativement leurs techniques et, qui sait, de sauver leur vie.
Article paru dans la revue Forêts de chez nous de septembre 2016.