Crédit photo: Serge Labrosse

Pour le commun des mortels, la manifestation d’une surpopulation de cerfs de Virginie se perçoit principalement par la hausse du nombre d’accidents de la route. Souvent oubliée, la situation vécue par les propriétaires forestiers victimes du broutage excessif n’en est pas moins préoccupante et peut même, dans certains cas, s’avérer dramatique pour la régénération de la forêt.

Dans certains secteurs du sud du Québec, les cheptels de cervidés ont atteint et même dépassé la capacité de la forêt à soutenir ces niveaux de population. On constate alors de lourds dommages à la régénération forestière, surtout les feuillus nobles et le thuya, ce qui nuit à l’avenir des boisés de nombreux propriétaires. Malgré les efforts déployés pour stabiliser ou réduire les populations par la chasse, le problème persiste. Les données manquent pour évaluer les dommages et la plupart des initiatives demeurent isolées.

« Il est établi que les populations de cerfs peuvent influencer la végétation, confirme Bérénice Doyon, biologiste et responsable multiressource à l’Agence régionale de mise en valeur des forêts privées de la Chaudière. Le piétinement, la compaction du sol, le grattage et le frottage sur l’écorce des arbres sont quelques-uns des impacts ressentis, mais le plus important demeure le broutage des feuillages, des rameaux et des semences. »

En mars, le dépôt d’un des rares rapports sur le sujet, intitulé Plan d’orientation des ravages du sud de la Beauce et coordonné par Mme Doyon, a permis de dresser un portrait de la situation faunique et forestière dans trois zones. « L’objectif était qu’on en vienne, de façon concertée, à établir des pistes d’action pour les prochaines années et que toutes les personnes touchées par la problématique puissent y participer », précise-t-elle.

Des évaluation difficiles

Spontanément, il est justifié de se demander à partir de quelle densité l’influence des cervidés devient néfaste pour l’avenir de la forêt et la qualité de son habitat. Biologiste et chercheuse postdoctorale au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), Émilie Champagne répond qu’il n’existe pas de données universelles. « Cela dépend des conditions du milieu, par exemple de la nourriture disponible, de la présence d’autres herbivores ou d’infrastructures humaines. »

De la même manière, le coût réel des dégâts causés par les cerfs de Virginie en forêt est difficile à estimer. Les spécialistes s’entendent néanmoins pour dire que la pression de broutage exercée par ces animaux peut diminuer la valeur économique du boisé, compromettre l’équilibre de l’écosystème et réduire la biodiversité. Elle est aussi susceptible de ralentir la croissance des plantes, des arbustes et des arbres, ce qui a une incidence non négligeable sur la protection des sols contre l’érosion.

Le broutage par le cerf de Virginie nuit à l’avenir de nombreux boisés. Crédit photo: Frédérick Lelièvre, MFFP

Un propriétaire excédé

Propriétaire depuis 21 ans d’un boisé privé d’une superficie de 54 acres près de Stratford, en Estrie, Hugues Beaudoin est aux prises avec le problème. Il indique qu’au moment de l’achat il y avait déjà présence de cerfs, « mais en quantité raisonnable ». Vers 2003, le producteur a toutefois commencé à remarquer une hausse du broutage. Aujourd’hui, aucun feuillu n’excède 25 cm et à peine 1 % des arbres parviennent à s’établir pour percer le couvert forestier.

« Ma forêt est tout simplement en train de se métamorphoser; c’est la savanisation qui la guette!, lance M. Beaudoin. Actuellement, les épinettes sont la seule chose qui n’est pas broutée. À titre expérimental, j’ai fait de petits exclos – des zones inaccessibles aux cerfs – pour démontrer les changements qui s’opèrent. Après six ans, j’observe que ça croît de belle façon dans les espaces protégés, mais qu’à l’extérieur des exclos, rien ne pousse! »

Le propriétaire forestier explique en outre avoir effectué des regarnis avec de l’érable à sucre et du chêne rouge, « surtout pour le sentiment qui me lie à mon boisé, puisque cette mesure me coûte 10 $ par arbre! La protection, assurée par un tuteur et une clôture en plastique rigide, suit la croissance. Sinon, il y a la chasse, que je pratique avec trois ou quatre invités non seulement par plaisir, mais aussi par devoir, car c’est la clé du succès ».

Bien que coûteuse, l’installation de protecteurs individuels permettant la croissance de l’arbre peut s’avérer utile. Crédit photo: Hugues Beaudoin

Que faire?

Émilie Champagne atteste également que la chasse sportive représente le moyen le plus efficace pour contrôler les populations. Si la chercheuse du MFFP corrobore l’idée que l’aménagement d’exclos et l’installation de protecteurs individuels peuvent s’avérer utiles – bien que très coûteux –, elle remet en question l’emploi de répulsifs. Les savons et l’urine de prédateurs, dont il faut multiplier les applications, ont un effet limité.

« Une étude réalisée à l’île d’Anticosti laisse par ailleurs penser que la végétation compagne influe sur la probabilité du broutement, qui se répartirait mieux quand il y a davantage de ressources alternatives. Autrement, des travaux expérimentaux sont en cours pour tenter de voir quels composés dans les plantes pourraient offrir un certain niveau de protection contre le broutement, ce qui permettrait ultimement une meilleure sélection des plants pour le reboisement », rapporte la chercheuse.

Les demandes des producteurs

Les producteurs agricoles et forestiers qui subissent des dommages souhaitent une amélioration de la gestion des cervidés. À cet égard, l’Union des producteurs agricoles adresse notamment les demandes suivantes aux gestionnaires de la faune :
• Améliorer la précision des inventaires pour repérer les secteurs problématiques.
• Assurer une gestion des cheptels en fonction de la capacité de la forêt à soutenir les populations de cerfs, c’est-à-dire sans que l’habitat se détériore.
• Bonifier les outils de contrôle des populations pour les secteurs en surpopulation.
• Convenir, avec les propriétaires, de méthodes d’intervention rapide lorsqu’ils subissent des dommages importants par le cerf.
• Harmoniser les territoires de chasse avec le territoire municipalisé afin d’améliorer la gestion et le suivi des populations.

Accueillir des chasseurs sur sa terre

Dans la lutte contre le broutage par les populations de cerfs de Virginie, la chasse constitue à ce jour le moyen de contrôle le plus efficace. Les propriétaires qui ne s’adonnent pas à cette activité ont la possibilité d’accueillir des chasseurs et peuvent obtenir un modèle de contrat pour la location de leur terre en consultant la section Bibliothèque/contrats-types.

Principales espèces d’arbres utilisées comme nourriture en hiver par le cerf

• Bouleau à papier
• Érable de Pennsylvanie
• Cerisier de Virginie
• Érable rouge
• Chèvrefeuille du Canada
• Noisetier à long bec
• Cornouillers
• Sapin baumier
• Érable à épis
• Saules
• Érable à sucre
• Thuya occidental

 

Article paru dans le Forêts de chez nous de septembre 2019.