Aménager son boisé en maintenant les espèces à statut précaire, les milieux sensibles et la biodiversité - Un outil pour les propriétaires forestiers

Les propriétaires forestiers sont des acteurs de premier plan dans la sauvegarde de plusieurs espèces en situation précaire. Contrairement à certaines idées préconçues, la protection des espèces et l’aménagement forestier ne sont pas incompatibles. En effet, la faune et la flore s’adaptent généralement bien à un certain niveau de perturbations naturelles qui s’apparentent à diverses interventions forestières. À titre d’exemple, le jardinage peut imiter un chablis partiel, alors que certaines coupes totales irrégulières peuvent calquer une épidémie de tordeuse.

Les propriétaires de lots boisés peuvent ainsi protéger les milieux sensibles et maintenir la biodiversité tout en réalisant des activités d’aménagement forestier. Dès l’étape de la planification, on peut identifier deux grandes stratégies pour atteindre ces objectifs. D’une part, nous pouvons appliquer le concept de filtre brut qui vise à conserver la qualité des habitats, et d’autre part, nous pouvons appliquer le concept de filtre fin qui se définit par l’application de mesures spécifiques d’intervention visant à protéger certaines espèces nécessitant des besoins particuliers.

Maintenir la qualité des habitats avec le filtre brut
L’application de saines pratiques d’aménagement forestier permet déjà de protéger la majorité des espèces qui vivent en milieu forestier. Par exemple, la conservation de chicots sécuritaires lors des activités de récolte est bénéfique à plusieurs espèces qui s’y abritent. De saines pratiques permettent ainsi de préserver l’habitat de plusieurs espèces, et ce, sans même savoir si ces espèces sont effectivement présentes. Le haut de la figure ci-contre présente des types et des structures d’habitats où de saines pratiques d’aménagement permettent de maintenir un habitat favorable à plusieurs espèces.

Rappelons que pour maintenir une diversité d’habitats, il faut éviter de traiter la forêt de la même façon partout. En offrant une diversité d’habitats, chaque espèce pourra y trouver son compte.

Appliquer des mesures spécifiques pour certaines espèces avec le filtre fin
Parfois, le maintien des caractéristiques des habitats ne permet pas toujours à lui seul de préserver l’ensemble de la biodiversité. Certaines espèces nécessitent des mesures de mitigation plus spécifiques. À titre d’exemple, la protection de l’ail des bois nécessite de localiser la colonie avant de pouvoir appliquer des modalités d’intervention spécifiques afin de préserver l’espèce. Dans ce cas précis, la réalisation d’interventions sur le parterre de la colonie doit s’effectuer pendant la saison hivernale afin de protéger les plants. Le bas de la figure ci-contre présente d’autres exemples de mesures de mitigation spécifiques.

Le plan d’aménagement forestier bonifié à la rescousse des producteurs
Au cours de la dernière année, la FPFQ, en collaboration avec Conservation de la nature Canada (CNC) et plusieurs autres partenaires, s’est impliquée activement dans un projet d’élaboration de fiches pour informer les propriétaires de boisés et les conseillers forestiers sur différentes façons de préserver la biodiversité en forêt privée. Ces fiches, reposant sur le concept des filtres bruts et fins, ont été conçues pour informer le propriétaire forestier sur les façons d’aménager la forêt dans le respect des espèces à statut ainsi que des milieux sensibles, et ce, qu’il détienne une certification forestière ou non. Les fiches recensent les habitats ou les espèces abritées dans les forêts privées et suggèrent des modalités d’intervention qui permettront le maintien de la biodiversité. Les conseillers forestiers pourront bonifier le plan d’aménagement forestier du propriétaire à l’aide de l’une ou l’autre des fiches développées.

Les fiches destinées aux propriétaires forestiers contiennent une brève description des milieux, des espèces sensibles et des mesures de mitigation adaptées au contexte de la forêt privée et validées par des experts. Les producteurs, ainsi que les conseillers forestiers, peuvent les retrouver sur foretprivee.ca/biodiversite ou à l’aide du code QR.

Voici 2 exemples présentant les liens entre la fiche habitat et la fiche espèce.

Bien que les fiches aient été développées dans l’optique de protéger les espèces menacées et vulnérables situées dans les basses-terres du Saint-Laurent, plusieurs d’entre elles pourront servir à l’ensemble des 134 000 propriétaires forestiers du Québec, notamment celles préconisant l’application du concept de filtre brut (fiche introductive, fiches sur les habitats et fiche présentant un résumé de la réglementation sur les milieux humides et hydriques). D’autres fiches spécifiques aux espèces serviront en premier lieu dans les basses-terres du Saint-Laurent, bien que l’habitat de certaines espèces dépasse ce territoire.

Ultimement, d’autres fiches pourraient être élaborées pour d’autres espèces ou habitats sensibles à partir du modèle développé. Le défi consiste à adapter les mesures aux besoins de l’espèce en tenant compte de la réalité des producteurs forestiers.

Bien que le grand pic ne soit pas considéré comme une espèce en péril, les trous qu'il fait dans les arbres et les chicots servent pour une multitude d'espèces. Crédit photo : FreeImages.com/Jeff Jones

Aider les producteurs à concilier l’aménagement et la préservation de la biodiversité
Plus qu’un outil de communication, ces fiches annexées aux plans d’aménagement forestier pourraient également permettre de supporter les demandes de permis municipaux, promouvoir les saines pratiques d’aménagement afin d’éviter la mise en place de réglementations trop restrictives et ainsi permettre de maintenir les activités d’aménagement forestier dans un contexte de complexification réglementaire.

La FPFQ revendique depuis quelques années le retour du financement des plans d’aménagement forestier en échange d’une bonification de ceux-ci afin de répondre aux nouvelles exigences sociétales sur la conservation des milieux humides et hydriques et la préservation des habitats et des espèces en situation précaire. En fournissant de meilleurs outils de planification aux propriétaires, ces derniers peuvent mieux maintenir, protéger et même améliorer la biodiversité tout en favorisant la mise en valeur de la faune lors des travaux forestiers.

Au-delà des outils informationnels, il faut également viser la mise en place d’un régime d’indemnisation pour les producteurs forestiers devant renoncer à leur droit d’usage au-delà d’un seuil raisonnable lorsqu’ils appliquent des mesures de mitigation prévues au plan d’aménagement forestier bonifié ou dictées par la réglementation.

Il est toujours possible de faire mieux, mais ne perdons pas de vue que, si aujourd’hui on retrouve la majorité de ces espèces en forêt, c’est peut-être parce que les producteurs forestiers ont aménagé leurs boisés de la bonne façon au cours du dernier siècle. C’est à nous de continuer de trouver ensemble les solutions les plus appropriées pour chaque propriétaire forestier parce que la conservation des espèces en situation précaire présentes dans les forêts privées du Québec passe nécessairement par un aménagement durable et raisonné de ces forêts.

5e édition du Guide terrain des saines pratiques d'intervention en forêt privée

La FPFQ annonce la publication de la 5e édition révisée du Guide terrain des saines pratiques d’intervention en forêt privée. Le contenu de cette nouvelle édition présente les nouvelles exigences réglementaires concernant la protection des cours d’eau et des milieux humides. La FPFQ tient à souligner la contribution du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques ainsi que les nombreux collaborateurs. Des exemplaires seront disponibles auprès de votre syndicat ou office de producteurs forestiers, alors que la version électronique peut être consultée gratuitement sur foretprivee.ca/gsp.