De 133 700 à 162 900 propriétaires forestiers au Québec
Les propriétaires forestiers sont de plus en plus nombreux au Québec nous confirme le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) dans sa plus récente analyse de la situation. On dénombre aujourd’hui au moins 162 900 propriétaires forestiers différents en nous fiant aux informations cadastrales. Il s’agit d’un accroissement significatif, alors que la dernière estimation qui circulait remontant à 2014 évaluait le nombre de propriétaires forestiers à 133 700 (+29 200).
Ce recensement éclaircit également le régime de propriété des forêts privées puisque 82 % des boisés de 4 ha et plus appartiennent à des individus, groupes de personnes et de familles. Le résiduel se compose d’entreprises ou de compagnies (15 %) et d’associés et autres sociétés en nom collectif (3 %).

La forêt privée appartiendrait-elle vraiment à une quantité croissante d’individus, de familles, de petites entreprises et de grandes corporations? Et si oui, le Québec compte-t-il vraiment 22 % plus de propriétaires forestiers qu’une décennie plus tôt? À titre indicatif, ce nombre a peu bougé entre 1973 et 2002, augmentant d’à peine 3,6 % en près de trois décennies (+4 550). Qu’est-ce qui explique la démultiplication du nombre de propriétaires forestiers dans les dernières années? De prime abord, le lecteur doit être avisé de certaines limites méthodologiques entre les différentes évaluations pouvant influencer l’interprétation de ce rythme de croissance.
Méthodologie du recensement
Le MRNF a effectué, en se basant sur les données de l’année 2023, un recoupement des données du rôle d’évaluation foncière des municipalités répertorié par le ministère des Affaires municipales et l’Habitation (MAMH) avec les données écoforestières du Québec. Ce recoupement lui a permis d’identifier tous les propriétaires d’une superficie à vocation forestière de 4 ha et plus de chaque municipalité du Québec. Des choix méthodologiques ont dû avoir lieu lors de la compilation afin d’éviter de compter en double un propriétaire forestier détenant des lots boisés dans plusieurs municipalités ou régions différentes.
Cette méthodologie, reposant sur une analyse géomatique systématique, a permis de recenser l’ensemble des propriétaires forestiers du Québec et constitue l’évaluation la plus précise réalisée à ce jour. Nous sommes ainsi à des années-lumière de l’enquête sur les forêts privées de 1973 où des enquêteurs contactaient les secrétaires municipaux afin qu’ils évaluent approximativement le nombre de propriétaires forestiers. Il s’agit aussi d’une analyse plus uniforme que celle réalisée par chacune des agences régionales de mise en valeur des forêts privées auprès des municipalités de leurs territoires lors de la confection de leur premier Plan de protection et de mise en valeur (PPMV) au tournant des années 2000. À l’époque, les agences avaient dénombré les propriétaires forestiers à partir des listes des propriétaires fonciers qu’utilisent les MRC aux fins de taxation.
La collaboration du MRNF dans ce dossier mérite d’être soulignée puisque la méthodologie préconisée pour le recensement de 2023 pourra être répliquée fréquemment et avec peu d’efforts considérant que les bases de données requises sont accessibles de façon périodique pour ces ministères.
Portrait régional
Le nombre de propriétaires forestiers semble avoir connu une croissance importante dans toutes les régions depuis 2014, sauf dans les Laurentides. Certaines régions ont connu un rythme de croissance important dépassant largement la croissance moyenne provinciale, telles que la Gaspésie (+132 %), l’Estrie (+62 %) ou la Capitale-Nationale (+58 %). Toutefois, s’agit-il d’une croissance réelle ou cet écart provient-il essentiellement d’une sous-estimation lors des études précédentes? À notre avis, l’évaluation la plus précise demeure la plus récente.

Toutes choses étant égales par ailleurs, il est aussi intéressant de constater que la superficie moyenne détenue par propriétaire forestier est inférieure de près de 8 ha en 2023, passant en moyenne à 36,3 ha. La progression du nombre de propriétaires forestiers dans certaines régions diminue cette estimation, particulièrement en Gaspésie, en Estrie et sur la Côte-Nord.
Les raisons qui expliquent la croissance du nombre de producteurs forestiers
Quatre raisons peuvent expliquer la croissance du nombre de propriétaires forestiers à travers le temps. La première est essentiellement reliée au choix méthodologique pour évaluer leur nombre que nous avons décrit précédemment. La deuxième concerne l’étendue des forêts privées. En effet, le boisement et l’enfrichement par l’abandon de parcelles cultivées a eu pour conséquence d’accroître significativement les superficies occupées par la forêt privée. De 1983 à 2022, la superficie forestière productive s’est accrue de 8,1 % en forêt privée (+5 089 km²). Ce faisant, des propriétaires agricoles sont devenus propriétaires forestiers lorsque les boisés de leurs terrains ont atteint 4 ha. La troisième provient sans doute du lotissement nécessaire au développement résidentiel et touristique. La quatrième est le morcellement des propriétés forestières à travers le temps qui s’effectue à un rythme plus rapide que le remembrement. Or, ce dernier élément exerce une influence structurelle sur la volonté et la capacité des propriétaires à aménager leurs boisés.
En effet, la littérature scientifique révèle que la réduction de la superficie détenue diminue la vue utilitaire du boisé par leurs propriétaires, et donc l’activité forestière et les niveaux de récolte. Au contraire, les propriétaires qui détiennent de plus grandes superficies forestières ont plus d’options pour étaler leurs activités d’aménagement dans le temps et dans l’espace, ce qui leur confère un plus grand spectre d’activités de récolte, de loisirs et de conservation que les plus petits propriétaires. Au Québec, les propriétaires de boisés détenant des superficies forestières supérieures à 100 hectares récoltent davantage de bois que ceux détenant de plus petites superficies. Conséquemment, on peut anticiper qu’un morcellement des lots boisés pourrait nuire à la mobilisation du bois des forêts privées.

Qui plus est, l’augmentation présumée du nombre de propriétaires forestiers indique aussi qu’une proportion moins importante de ces derniers sont en réalité des producteurs forestiers enregistrés au sens de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier. À peine 23 % à la lueur de ces résultats. Il y aurait sûrement lieu d’explorer des options pour tenter de sensibiliser davantage de propriétaires de boisés à devenir producteurs forestiers.
Une nouvelle enquête sur les propriétaires forestiers
Au Québec, des enquêtes auprès des propriétaires forestiers ont été réalisées en 1974, en 1985, en 1998 puis en 2012. La FPFQ a pris en charge la réalisation de celle de 2012 portant sur la Caractérisation des profils, des motivations et des comportements des propriétaires forestiers québécois par territoire d’agence régionale de mise en valeur des forêts privées, en partenariat avec le groupe AGÉCO qui était responsable du sondage. À l’aube de la révision des PPMV par les agences de mise en valeur de la forêt privée, l’actualisation du portrait des propriétaires forestiers aux échelles régionale et provinciale est nécessaire pour adapter les mesures de soutien gouvernemental visant à stimuler l’aménagement forestier et la récolte de bois sur leurs terres. Or, le recensement de 2023 permet maintenant de quantifier l’échantillon pour chacune des régions concernées. Contrairement à l’enquête téléphonique de 2012, nous préconisons cette fois-ci une approche par enquête postale et numérique. Nous invitons les propriétaires forestiers à rester à l’affût et espérons que ceux sélectionnés participeront de plein gré.