EUDR : Le secteur forestier confronté à un nouveau défi de traçabilité

La Commission européenne a récemment adopté une nouvelle législation dont les exigences constitueront un défi de traçabilité pour les industriels forestiers et leurs nombreux fournisseurs de bois. Le Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, communément appelé European Union Deforestation Regulation (EUDR), affectera prochainement tout produit forestier acheminé sur le territoire des 27 pays de l’Union européenne (UE).

À partir du 30 décembre 2024, sept catégories de produits importés par l’UE, dont le bois et ses produits dérivés, devront respecter une série d’exigences : éviter d’être à l’origine de toute déforestation, être produits conformément à la législation du pays d’origine et être accompagnés d’une déclaration de diligence raisonnable incluant une chaîne de traçabilité.

Selon le règlement EUDR, la déforestation se définit comme la conversion d’une forêt à des fins agricoles. Il sera donc impératif qu’un producteur agricole déclare les bois issus de coupes visant à agrandir une culture. L’EUDR vise aussi à éliminer la dégradation des forêts, qui se caractérise par une altération structurelle du couvert forestier par la conversion (ex : transformation de forêts primaires en plantations), mais cette définition est contestée internationalement. Bien qu’il n’y ait pas d’enjeu de déforestation ou de dégradation des forêts au Québec, la traçabilité représente un défi significatif.

Qu’est-ce que la traçabilité?

La traçabilité permet d’identifier l’origine et le parcours d’un produit à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement. Elle préserve l’identité et les qualités d’un produit durant tout son déplacement et sa transformation. Dans le secteur forestier, cela signifie suivre un produit depuis la récolte du bois jusqu’à la commercialisation finale.

Afin d’établir la traçabilité des produits, ce règlement impose la géolocalisation de la provenance des bois récoltés nécessaires à la fabrication de produits forestiers ou issus du bois exportés vers l’UE, incluant les pâtes et papiers, le bois de sciage, les produits imprimés, les meubles, les constructions préfabriquées ou les granules de bois pour l’énergie. À titre indicatif, le Québec a exporté pour près de 360 M$ de ces produits sur le marché européen en 2023, principalement des pâtes et papiers. On pourrait penser que le défi de traçabilité se limite au bois à pâte, mais comme l’industrie papetière s’approvisionne essentiellement à partir de résidus des scieries, cette norme obligera sans doute ces dernières à fournir aux papetières l’origine des approvisionnements de bois rond ayant produit les copeaux.

Ces exigences en matière de traçabilité auront également un impact sur les exportations vers d’autres nations, car les produits peuvent subir une transformation supplémentaire, comme l’impression d’un livre, et finir par être commercialisés sur le marché de l’UE. La mondialisation des marchés complexifie évidemment ce défi de traçabilité.

Pour assurer la traçabilité des produits, il faudra recueillir les informations suivantes et s’assurer qu’elles accompagnent les produits entrant sur le marché européen :

  • Le nom et l’adresse du producteur ou du fournisseur
  • La date de la récolte de bois
  • La géolocalisation du lieu du parterre de récolte ou du boisé
  • L’usine de destination

Plusieurs usines achetant du bois de la forêt privée travaillent déjà pour se conformer à la norme, et des démarches ont été entreprises avec plusieurs organisations du secteur. Cependant, on ne connaît pas encore toutes les conséquences de l’implantation de cette chaîne de traçabilité ni toutes les usines qui seront concernées.

La complexité d’assurer la traçabilité du bois des forêts privées

Chaque année, plusieurs milliers de propriétaires forestiers récoltent du bois à destination du marché de la pâte, du sciage, des panneaux ou de la bioénergie (à l’exception du bois de chauffage). Cette récolte est chargée sur plus de 150 000 voyages différents et est acheminée à plus de 200 sites de transformation. La transformation du bois récolté en forêt privée permet à l’industrie forestière de confectionner des centaines de produits différents qui génèrent un chiffre d’affaires de 4 G$ selon le portrait économique de 2021. Ces produits sont exportés à près de 150 pays différents, générant des ventes finales aux consommateurs de plusieurs milliards de dollars (consultez notre infolettre sur ce dossier).

Sources :
FPFQ. Statistiques de mise en marché du bois de la forêt privée. Années multiples.
FPFQ. Portrait économique des activités sylvicoles et de la transformation du bois des forêts privées : emplois directs et revenus d’affaires, 2020, 23 p.
Statistique Canada. Base de données sur le commerce international canadien de marchandises. Extrait du 2 février 2021.
Compilation : FPFQ

L’enjeu de la géolocalisation des propriétés d’où provient le bois

La géolocalisation des mouvements de bois en forêt privée est complexe, car, au-delà des milliers de producteurs et des centaines de destinations, la récolte n’est pas réalisée sur les mêmes lots boisés d’une année à l’autre. Il s’agit donc d’un contexte en constante évolution.

Selon nos évaluations, les syndicats de producteurs forestiers possèdent déjà l’information nécessaire pour assurer la conformité de plus des deux tiers des volumes de bois commercialisés en forêt privée, en raison de leur implication dans la mise en marché. La traçabilité du tiers résiduel constituera un défi énorme, quoique certaines parties, par exemple les bois produits sous la supervision des groupements et des conseillers forestiers, pourront sans doute combler une portion de ces volumes. Cependant, pour accéder au marché européen, les exportateurs devront démontrer à leurs importateurs européens que l’ensemble de leurs approvisionnements sont conformes. En effet, l’introduction d’une seule bille issue de la déforestation ou d’une forêt dégradée pourrait compromettre l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et empêcher l’importation des biens produits dans l’UE. Dans tous les cas, la standardisation des informations recueillies par l’industrie forestière selon le format exigé par l’UE constituera un défi majeur.

Bien que plusieurs pays membres de l’UE, ainsi que le Canada, les États-Unis et plusieurs autres, aient exprimé leurs fortes préoccupations quant aux exigences de l’EUDR, une tendance lourde se dessine en faveur d’une traçabilité accrue des bois, permettant d’identifier les produits issus d’un aménagement forestier durable. Le défi réside dans la recherche de solutions abordables et adaptées au contexte de la forêt privée.

Pour les propriétaires et les entrepreneurs forestiers

Les usines concernées par cette norme ne sont pas encore connues. Cependant, les producteurs forestiers doivent bien identifier les lots de récolte lorsque l’information est demandée par le syndicat ou l’usine. À cet effet, pour répondre aux exigences EUDR, il est recommandé que le numéro de lot inscrit au cadastre du Québec soit utilisé dans cette chaîne de traçabilité. La localisation des lots est visualisable gratuitement sur les cartes interactives Web du gouvernement du Québec Infolot et Forêt ouverte. Sur cette dernière plate-forme, les coordonnées géographiques peuvent être affichées.

Si l’usine achetant votre bois doit se conformer à la norme, il faudra s’attendre à devoir déclarer le bois provenant de la déforestation issue d’une conversion de la forêt vers un usage agricole et certifier que les travaux sont réalisés légalement.

Prochaines étapes

Plusieurs organisations travaillent de concert pour protéger l’accès au marché européen pour les entreprises québécoises. Dès 2022, le gouvernement du Québec a exprimé ses préoccupations au gouvernement fédéral quant à certaines exigences de ce règlement européen. Le Bureau de promotion des produits du bois du Québec (QWEB) effectue une veille de la réglementation européenne. À l’aide d’une subvention fédérale, le QWEB a également mandaté le consortium de recherche FORAC de l’Université Laval pour trouver des solutions permettant de gérer les différentes sources de données nécessaires à la traçabilité. Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec collabore avec l’industrie en vulgarisant ses outils déjà existants et disponibles à tous pour associer le territoire de récolte avec le cadastre ou un point GPS ce qui sera fort utile dans ce travail. La Fédération et les syndicats de producteurs de bois informeront les producteurs forestiers des développements concernant ces nouvelles exigences et identifieront des solutions en collaboration avec les partenaires et les industriels qui seront visés.