Évolution de la récolte mécanisée en forêt privée
Un phénomène en croissance
Il existe plusieurs circuits de récolte en forêt privée. Le propriétaire forestier pourra faire sa récolte lui-même ou confier cette activité à un entrepreneur de récolte ou à son conseiller forestier. Ce dernier pourra posséder des équipements de récolte ou, à son tour, confier ce travail à un sous-traitant. Le schéma suivant illustre ces possibilités.
Pour plusieurs raisons, la mécanisation de la récolte a néanmoins connu une forte progression au cours des 10 dernières années. En premier lieu, ce phénomène répond aux changements sociologiques chez les propriétaires forestiers qui disposent de moins en moins de temps, d’expertise ou d’équipements pour entreprendre seuls des travaux de récolte dans leurs boisés. Un nombre croissant d’entre eux préfèrent confier ce travail à une entreprise spécialisée. En second lieu, les conseillers des propriétaires forestiers font appel à des sous-traitants mécanisés pour remplacer des équipes d’abatteurs manuels de plus en plus difficiles à trouver à mesure qu’ils prennent leur retraite ou quittent le métier. En dernier lieu, la perte des marchés traditionnels pour les petites billes de bois destinées à la pâte, au profit de plus gros billots destinés au marché du sciage, accroît la difficulté des opérations forestières et les exigences de façonnage des billes.
Des données qui ne trompent pas
Selon un recensement de la Fédération des producteurs forestiers du Québec réalisé en 2019, il y a environ 450 entrepreneurs de récolte mécanisée œuvrant en forêt privée. Ces entreprises réalisent des travaux à leur compte ou en sous-traitance pour d’autres entrepreneurs, des groupements forestiers, des coopératives forestières et des firmes d’ingénieurs forestiers. Ces entrepreneurs disposeraient d’au moins 508 abatteuses traditionnelles et abatteuses multifonctionnelles actives. Parmi celles-ci, 140 furent ajoutées entre 2017 et 2019, soit une progression majeure. Une partie des nouveaux équipements proviennent du marché des machineries usagées.
En 2018, ces entrepreneurs ont réalisé 81 % de la récolte en forêt privée, soit environ 5,2 millions de mètres cubes.
Pour une vaste majorité, il s’agit d’entrepreneurs artisans où le propriétaire est directement impliqué dans les opérations forestières. Il existe également de plus grandes entreprises disposant de plusieurs équipes et d’une variété de machineries pour construire les chemins, abattre les arbres, les débarder aux chemins, les débiter et les transporter aux usines.
Plusieurs entrepreneurs réalisent aussi à l’occasion des contrats de récolte sur les terres publiques.
Le graphique suivant montre la progression de la récolte mécanisée par territoire de plans conjoints de producteurs de bois entre 2016 et 2018. On y constate que, mis à part la région des Laurentides et de l’Outaouais, la récolte mécanisée est désormais la norme.
La rentabilité des opérations forestières mécanisées en forêt privée
Le temps d’utilisation de la machinerie en forêt privée diffère de la situation en forêt publique puisque la récolte se fait généralement de jour, sur un quart de travail. Cette réalité s’explique par des équipements opérés par leur propriétaire et des interventions qui se déroulent chez des petits propriétaires forestiers à proximité des milieux habités.
Puisque les chantiers en forêt privée sont de petites tailles comparativement à ceux en forêt publique ou de grands propriétaires, les opérations forestières génèrent généralement moins de volume de bois par chantier. Les coûts fixes sont donc divisés sur une quantité moins importante de bois vendu. De plus, la relocalisation de l’équipement d’un lot à un autre peut prendre un temps non négligeable. Cette étape supplémentaire provoque des temps morts qui pèsent sur la rentabilité des activités de récolte mécanisée en forêt privée.
Ces réalités impliquent que les entrepreneurs de récolte en forêt privée ont une période d’amortissement généralement plus longue que leurs collègues en forêt publique. L’allongement de la période d’amortissement suppose une dépense en intérêt plus importante.
Le nouveau risque à considérer
Lors des dernières récessions, le mode de récolte dominant en forêt privée était manuel et ne nécessitait aucun investissement important dans une machinerie lourde, ce qui a permis de ne pas amplifier l’effet des crises. Puisque 80 % de la récolte en forêt privée est désormais mécanisée, et que ces entrepreneurs ont des emprunts importants sur leur machinerie, le prochain ralentissement sera problématique pour plusieurs. Les entrepreneurs les plus endettés seront les plus vulnérables à un choc économique et cette situation pourrait toucher les propriétaires de machineries plus récentes.
L’ajustement de ce nouveau mode de récolte vis-à-vis de la baisse de la demande de bois en période de bas de cycle est préoccupant. Malgré la baisse des taux d’intérêt de la Banque du Canada lors de crise économique, les paiements sur les emprunts resteront relativement stables par rapport à la diminution des prix du bois rond. À cet effet, le comportement individuel des entrepreneurs sera d’augmenter la production pour pallier à la baisse des prix du bois rond afin d’obtenir un revenu permettant de couvrir les mêmes frais fixes. Cette course à l’augmentation de la production ne fera qu’exacerber la baisse des prix du bois rond.
Il est impératif d’implanter des solutions afin de diminuer le risque financier de ces entrepreneurs avant le prochain ralentissement économique.
Les besoins des entrepreneurs de récolte
Les entrepreneurs doivent disposer d’un accès aux marchés pour les différents produits de l’arbre et des essences forestières qu’ils récoltent. Des billots pour le sciage ou du bois destiné à la fabrication de pâte ou de panneaux, de l’épinette ou de l’érable, chaque usine a des besoins spécifiques. La demande est rarement égale pour tous ces produits et des inventaires en forêt représentent un coût pour ces entrepreneurs. Enfin, le remboursement des prêts et de versement des salaires demande un paiement rapide pour le bois livré aux usines.
Toute mesure venant réduire les frais de financement et d’inventaires se traduira par une hausse de la rentabilité des entrepreneurs dont le profit est souvent le salaire du propriétaire exploitant. Ainsi, la FPFQ milite auprès du gouvernement du Québec pour :
- Un programme de garantie de prêt qui entraîne une baisse du taux d’emprunt des institutions financières. Cette garantie doit couvrir des achats qui dépassent souvent les 500 000 $ et peuvent atteindre 1 M$. Si la garantie gouvernementale n’entraîne pas de baisse substantielle du taux d’intérêt sur l’emprunt, la mesure manque sa cible. Actuellement, ce taux varie de 3 à 10 % selon le dossier et l’institution financière.
- Un programme de subvention ou un crédit d’impôt suffisamment intéressant pour encourager l’entrepreneur à opter pour de l’équipement neuf plutôt qu’usagé. Cette mesure permettra de réduire les frais associés à la réparation, d’accroître la productivité des entrepreneurs et de réduire l’empreinte environnementale des équipements. Puisque l’équipement neuf provient souvent de l’étranger, une subvention pour tenir compte de l’effet des variations du taux de change des devises sur le prix de la machinerie vendue au Québec serait utile (si aucun équipement équivalant n’est manufacturé au Canada).
- Des modalités particulières de remboursement des emprunts qui tiennent compte de la réalité des entrepreneurs de récolte en forêt privée. Par exemple, une formule de remboursement sur 10 mensualités par année, plutôt que 12, considérera les périodes de ralentissement normal pour la maintenance ou le dégel. De plus, une meilleure reconnaissance des carnets de commandes des travaux à réaliser chez les propriétaires forestiers dans le calcul des garanties financières à fournir accélérera l’achat de machineries chez les entrepreneurs plus jeunes disposant de moins d’actifs.
- Un programme qui couvre une partie des intérêts lorsque les usines arrêtent temporairement leurs activités sécurisera l’emprunteur et l’institution prêteuse.
- Une réduction des exigences administratives augmentera l’attrait des mesures gouvernementales chez cette clientèle.
Les besoins des propriétaires forestiers
En raison de la petite taille des propriétés forestières au Québec, 43 hectares en moyenne, des milliers de propriétaires seront visités par des entrepreneurs de récolte au cours d’une année. La longue période entre deux récoltes dans un boisé et les petites superficies détenues expliquent l’inexpérience d’une majorité de propriétaires forestiers lorsque vient le temps d’embaucher un entrepreneur. L’accompagnement par un conseiller forestier viendra combler cette lacune.
Plusieurs études ont tenté d’identifier les principaux besoins des propriétaires forestiers. D’un côté, la principale crainte des propriétaires forestiers est de nature esthétique. En effet, ceux-ci sont extrêmement préoccupés par l’état de leurs lots boisés après qu’un entrepreneur de récolte mécanisée ait effectué des travaux. D’un autre côté, les entrepreneurs de récolte mécanisée estiment que les attentes des propriétaires forestiers sont irréalistes lorsqu’on considère le besoin de rentabilité des travaux.
Afin de réduire les incompréhensions et mésententes entre ces deux groupes, divers outils sont disponibles :
- Un contrat décrivant les responsabilités de l’entrepreneur et du propriétaire rassurera ces parties sur la qualité des travaux à venir, spécifiera le partage des coûts et des revenus, et prévoira les actions à mettre en œuvre en cas de problème. La FPFQ fait d’ailleurs la promotion d’un contrat type qui contient des dispositions sur l’ensemble de ces éléments.
- Toujours dans l’optique d’augmenter la confiance des propriétaires envers les entrepreneurs de récolte mécanisée, des syndicats de producteurs de bois offrent une accréditation aux entrepreneurs mécanisés. Cette formule permet de s’assurer que ceux-ci respectent certaines conditions.
- Une vidéo présentant un producteur agricole faisant le choix de confier la récolte dans ses boisés à un entrepreneur forestier est aussi disponible pour illustrer cette relation gagnante fournisseur client.
- L’Agence forestière des Bois-Francs a également fait produire un outil interactif illustrant la réalisation d’une coupe de jardinage mécanisée dans une érablière.
Les rôles du syndicat régional de producteurs forestiers
Dans ce contexte de récolte mécanisée en forêt privée, les rôles des syndicats de producteurs forestiers demeurent multiples.
- La défense de l’accès aux marchés pour les bois de la forêt privée faisant notamment face à la concurrence des bois de la forêt publique devient primordiale pour des entreprises qui récoltent de grosses quantités de bois par semaine. Les entrepreneurs ne peuvent se permettre de maintenir du bois en inventaire ou être arrêtés trop longtemps. Les syndicats informent le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs sur les volumes disponibles en forêt privée, dans l’étude des demandes des industriels pour accroître leur approvisionnement.
- La diffusion d’information sur les prix offerts par les usines de transformation et les conditions d’achat accroît la transparence sur les marchés, ce qui facilite les décisions d’affaires. Cette diffusion s’effectue également auprès des propriétaires forestiers qui méconnaissent ces marchés et vérifient les informations reçues des entrepreneurs forestiers.
- Lorsque les producteurs d’une région les mandatent en vertu des dispositions de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, les syndicats négocient des conditions de vente aux usines en misant sur une connaissance du marché pointue et un pouvoir de négociation accru par la force du nombre.
- La négociation de taux de transport de bois dans chacune des régions permet aussi d’accroître la transparence des marchés.
- Plusieurs syndicats de producteurs forestiers effectuent le paiement du bois reçu de l’usine à l’entrepreneur et au propriétaire selon les modalités convenues par ces parties. Le paiement aux transporteurs peut également être réalisé. Ce service réduit le risque de mauvais paiement de part et d’autre, diminue les frais administratifs pour l’entrepreneur et sécurise les parties.
- Des fonds de garanties de paiement administrés par des syndicats de producteurs forestiers réduisent le risque financier des entrepreneurs de récolte qui ne survivraient pas tous à une faillite ou à la restructuration d’entreprises de transformation du bois.
- L’accréditation d’entrepreneurs forestiers sur leur territoire rassure les propriétaires à la recherche de ce service.
- Enfin, les multiples représentations effectuées auprès du gouvernement et des Municipalités visent à améliorer l’environnement d’affaires des producteurs forestiers, mécanisés ou manuels. Le syndicat devient ainsi un porte-voix pour ces individus et entreprises. Une partie de ces représentations vise à améliorer les incitatifs aux travaux d’aménagement forestier. Par exemple, il pourra s’agir du remboursement d’une partie de la taxe sur le carburant pour l’entrepreneur et l’étalement du revenu forestier pour le propriétaire forestier.
Sources : Dennings, K. Tabanico, J. 2017. Research into woodland owners’ use of SFM to inform campaign marketing mix. Social Marketing Quaterly: 1-15
Cushing, T.L. Belart, F. Bowers, S. 2018. A survey of loggers concerns when working with small woodland owners. Small-scale Forestry 17 : 523-534