L'environnement d'affaires imparfait des producteurs forestiers
La mobilisation du bois des forêts privées mobilise de plus en plus les esprits et les moyens des acteurs oeuvrant en forêt privée. À preuve, dans la Stratégie nationale de production de bois, le MFFP vise à faire passer la récolte de bois en forêt privée à 7,8 Mm³ par année d’ici 2025. L’atteinte de cet objectif est conditionnelle à la réunion de conditions gagnantes qui permettront de susciter l’intérêt des propriétaires forestiers à récolter du bois, notamment en améliorant leur environnement d’affaires. En 2015, la FPFQ identifiait des facteurs permettant de déclencher la récolte de bois chez les propriétaires forestiers, proposait des indicateurs pour en faire le suivi et évaluait si l’environnement d’affaires des producteurs forestiers favorisait la mobilisation du bois. Six ans plus tard, nous revisitons ce concept afin d’en suivre l’évolution.
Les déclencheurs de la récolte de bois chez les propriétaires forestiers
Selon notre expérience et la littérature scientifique à ce sujet, la décision de récolter du bois est influencée par quatre facteurs séquentiels et complémentaires :
- La récolte de bois doit correspondre aux motivations personnelles du propriétaire forestier. L’activité sylvicole doit donc concorder avec ses valeurs personnelles, son identité ou son mode de vie.
- La récolte doit constituer une opportunité d’affaires, c’est-à-dire que la forêt doit être mature et un marché lucratif pour la vente de bois doit exister.
- Les réglementations municipale, provinciale et fédérale doivent permettre la réalisation de cette activité sur une base rentable. En parallèle, le traitement fiscal du revenu forestier doit être raisonnable.
- Un soutien technique est nécessaire pour faciliter l’aménagement forestier, la récolte, la commercialisation, le transport du bois et la remise en production du site récolté.
L’évolution de ces déclencheurs au Québec
Outre les motivations personnelles, ces facteurs définissent l’environnement d’affaires des propriétaires forestiers s’engageant dans des activités sylvicoles et de récolte. Nous pouvons suivre l’évolution de ces déclencheurs grâce à une série d’indicateurs.
Les indicateurs décrivant l’opportunité d’affaires démontrent tous une progression au cours de la dernière décennie en raison de l’amélioration de la demande pour les matériaux de construction en bois au cours de cette période. La demande pour le bois des forêts privées et les parts de marchés détenues par les producteurs forestiers ont connu une pente ascendante. De plus, des décennies d’investissements sylvicoles portent maintenant leurs fruits alors que la possibilité forestière a connu un accroissement. Seul bémol, bien qu’ayant connu une progression légèrement supérieure à l’inflation au cours des dernières années, le prix du bois demeure nettement inférieur à sa valeur intrinsèque avant la crise forestière.
Au cours des dernières années, le gouvernement provincial a mis en place des règles fiscales pour favoriser la production forestière, notamment la hausse du seuil de revenu pour déclencher la taxe sur les opérations forestières et l’étalement du revenu du producteur forestier. Il s’agit là d’améliorations appréciables, mais qui ne sauraient être complètes sans un traitement fiscal équivalent pour les revenus déclarés au fédéral. En parallèle, la hausse du fardeau fiscal municipal continue de freiner les efforts de mobilisation du bois en forêt privée. Actuellement inexploitée, la catégorie des immeubles forestiers offre maintenant un outil aux élus municipaux pour renverser cette tendance et soutenir les efforts des producteurs en abaissant le taux de taxation des lots boisés sous aménagement. Malgré plusieurs améliorations, le traitement fiscal de l’activité forestière demeure partiellement inéquitable. Quant au fardeau réglementaire, si difficile à chiffrer à l’aide d’indicateurs, nul doute qu’il n’a cessé de s’alourdir au cours de la période en raison de la multiplication des règlements sur les milieux humides ou bien de la complexification des réglementations municipales sur l’abattage d’arbres.
Facteurs d'influence de l'environnement d'affaires des producteurs forestiers
Les sommes budgétaires permettant de soutenir les efforts de mise en valeur des propriétés forestières ont connu une progression notable depuis 2014, mais leur niveau actuel demeure légèrement inférieur à une décennie plus tôt. La chute brutale (-62 % depuis 2010) du nombre de producteurs forestiers bénéficiant de ces mesures d’aide et du nombre de conseillers forestiers oeuvrant auprès des producteurs forestiers nous apparait beaucoup plus préoccupante.
Des solutions pour améliorer l’environnement d’affaires
Au fil des ans, la FPFQ a documenté plusieurs solutions qui permettraient d’améliorer l’environnement d’affaires des producteurs forestiers. En voici cinq exemples :
- Un accroissement de la cohérence entre les politiques de soutien à la production de bois et le régime d’aménagement des forêts privées tel que véhiculé par la FPFQ dans les consultations menant à l’élaboration de la Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement des territoires. À cet effet, la FPFQ propose le transfert des réglementations sur les activités forestières aux MRC et la définition d’un cadre minimal d’activités forestières autorisées afin de permettre à tous les producteurs forestiers de mettre en valeur leurs boisés.
- Le recours par les municipalités à une diminution du taux de taxation de la catégorie des immeubles forestiers afin d’encourager la sylviculture et la production de bois sur leur territoire.
- Une fiscalité sur le revenu soutenant la production de bois par la création d’un régime d’épargne et d’investissement sylvicole permettant d’utiliser le revenu forestier obtenu par la vente de bois pour financer des travaux sylvicoles dans les années suivant la récolte.
- L’amélioration des règles d’attribution des volumes de bois des forêts publiques pour mieux équilibrer l’offre et la demande dans les différents segments du marché du bois rond et ainsi mieux tenir compte du principe de résidualité.
- Le soutien à la modernisation d’usines de produits forestiers sur le territoire québécois permettrait de soutenir la demande pour le bois rond. Rappelons qu’il y a toujours plus de 2 Mm³ de bois rond disponible en forêt privée qui ne sont pas récoltés, faute de marché.
- Des budgets d’aide à la mise en valeur des forêts privées suffisants pour répondre aux besoins de l’ensemble des producteurs forestiers afin de garantir la productivité des forêts privées et répondre aux objectifs d’universalité de ces programmes.
Ces propositions sont susceptibles d’améliorer l’environnement d’affaires des producteurs forestiers québécois et à terme, de décupler les retombées économiques générées par la sylviculture et la transformation du bois des forêts privées (4,3 G$ et 25 000 emplois en 2018 selon le Portrait économique des activités sylvicoles de la transformation du bois des forêts privées). Tous les intervenants soucieux de cet enjeu devraient donc en faire la promotion.