Les municipalités au coeur du développement de la forêt privée

Le monde municipal joue un rôle de plus en plus déterminant dans le développement économique régional et l’occupation dynamique du territoire. Bien évidemment, le rôle des municipalités dans la gestion des forêts privées ne fait pas exception à cette règle. D’un côté, les municipalités disposent d’un levier réglementaire en matière d’encadrement des activités sylvicoles permettant de favoriser ou nuire à l’activité forestière. Parallèlement, de nouveaux changements législatifs fournissent dorénavant aux municipalités un puissant outil fiscal pour encourager la mise en valeur des forêts privées et dynamiser l’activité économique forestière. Au Québec, peu de secteurs économiques dépendront autant des décisions des autorités municipales.

Miser sur la fiscalité pour accroître la mise en valeur des forêts privées

La forte progression des taxes municipales imposées aux propriétés forestières affecte la rentabilité des activités de production de bois. Depuis 1999, le fardeau fiscal municipal a crû au rythme de 5,7 % par année. De 1999 à 2019, les charges que représentent les taxes municipales sont passées de 1,93 $ à 5,88 $ pour chaque mètre cube de bois produit, soit une hausse largement supérieure à l’inflation (+204 % par rapport à +41 %). En comparaison, la valeur du bois est demeurée relativement stable. Par conséquent, le poids des taxes foncières sur la valeur intrinsèque du bois a plus que doublé, passant de 3,9 % à 9,4 %. Consultez notre analyse complète du fardeau fiscal dans l’infolettre du mois d’août 2020. Afin de remédier à la situation, l’Assemblée nationale du Québec a adopté en mars dernier les modifications à la Loi sur la fiscalité municipale pour y inscrire une nouvelle catégorie d’immeubles forestiers.

Cette catégorie regroupe les propriétés forestières de 4 hectares et plus, dont la gestion est encadrée par un plan d’aménagement forestier rédigé par un ingénieur forestier et dont le propriétaire est enregistré comme producteur forestier auprès du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). Ce changement offre aux municipalités la possibilité de moduler le taux de taxation de ces boisés à l’intérieur d’une fourchette de 66 à 100 % du taux de base afin d’encourager la mise en valeur des forêts.

Cette mesure comporte plusieurs autres avantages pour :

  • favoriser l’encadrement professionnel de la gestion des boisés privés afin d’assurer le respect des règlements et des saines pratiques d’intervention en forêt. Les producteurs forestiers enregistrés travaillent en fonction d’un plan d’aménagement forestier et disposent de conseils de professionnels pour la protection et la mise en valeur de leurs boisés.
  • encourager les producteurs forestiers à réaliser plus d’investissements sylvicoles. Logiquement, la réduction du fardeau fiscal se traduira par une hausse de la rentabilité des activités forestières, ce qui incitera un plus grand nombre de propriétaires forestiers à réaliser des travaux d’aménagement forestier.
  • soutenir une occupation dynamique du territoire en misant sur les retombées économiques liées aux activités forestières. Les activités de récolte, d’aménagement forestier et de transformation du bois en provenance de la forêt privée ont permis de générer plus de 25 000 emplois directs et un chiffre d’affaires de 4,3 milliards de dollars pour l’année 2018 (consultez le Portrait économique des activités sylvicoles et de la transformation du bois des forêts privées). Il est possible d’augmenter les activités tout en respectant la possibilité de récolte forestière du territoire.
  • accélérer le déclenchement de la mesure de remboursement de taxes foncières puisque pour en bénéficier, le producteur forestier doit déclarer des dépenses d’aménagement supérieures au montant des taxes. Fait à noter, cette mesure n’a aucune incidence sur l’assiette fiscale des municipalités puisqu’il s’agit en réalité d’un crédit d’impôt qui permet au gouvernement de soutenir l’activité sylvicole en forêt privée à même la déclaration d’impôt du producteur forestier.
  • améliorer la rentabilité des travaux forestiers afin de permettre aux producteurs forestiers d’approvisionner l’industrie forestière régionale de manière concurrentielle. C’est d’autant plus intéressant que le Bureau de mise en marché des bois du MFFP a évalué que les bénéfices économiques moyens générés par la récolte et la transformation du bois de la forêt privée surpassent amplement ceux de la forêt publique (47 $ par rapport à 36 $ par mètre cube récolté).

Mis à part les ajustements administratifs, cette solution présente très peu de désavantages pour les municipalités puisqu’elles conservent le pouvoir de déterminer le taux de taxation de ces boisés. Par ailleurs, les municipalités peuvent opter pour taxer davantage les boisés qui ne sont pas aménagés afin de compenser une possible baisse de revenus pour les boisés aménagés. De plus, la forte progression des valeurs foncières (+6,4 %/an) et des taxes municipales (+5,7 %/an) permettra de compenser rapidement une réduction momentanée de revenus provenant d’un éventuel taux de taxation distinct. La baisse s’apparentera rapidement à un gel de taxe.

La révision du rôle foncier de toutes les municipalités du Québec s’échelonnera sur les trois prochaines années. Ainsi, l’identification de la nouvelle catégorie d’immeubles forestiers apparaîtra au rôle d’évaluation foncière du tiers des municipalités à compter de 2021. Toutefois, les taux de taxation distincts pour ces immeubles ne pourront pas être appliqués par les municipalités avant le 1er janvier 2022. C’est-à-dire qu’à compter de 2022, les deux tiers des municipalités du Québec deviendront admissibles à l’utilisation de cet outil fiscal et le dernier tiers le sera en 2023. La FPFQ a produit une carte interactive permettant d’identifier l’année de la révision du rôle selon la municipalité.

Carte interactive présentant l'année de révision du rôle d'évaluation des municipalités

Adapter la réglementation municipale sur l’abattage d’arbres pour accroître la mise en valeur des forêts privées

La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme accorde déjà aux municipalités le pouvoir de régir l’abattage d’arbres et la protection du couvert forestier. Bien qu’au départ, ces réglementations visaient à limiter des pratiques de récolte abusive, on constate aujourd’hui que plusieurs :

  • contraignent une pratique normale de la sylviculture, limitant la production et la récolte de bois;
  • diffèrent des pratiques recommandées par les professionnels forestiers;
  • présentent des ambiguïtés et incohérences pour les citoyens tenus de les respecter;
  • augmentent les frais et les risques de contravention pour réaliser une récolte de bois.

En 2017, la FPFQ et la Coopérative Terra-Bois procédaient à une Analyse des conséquences de la réglementation environnementale en forêt privée sur la possibilité de récolte forestière à l’échelle du territoire d’une MRC, démontrant que l’effet cumulatif des contraintes réglementaires peut réduire du tiers la possibilité de récolte forestière régionale annuelle. Prise individuellement, chacune des contraintes peut sembler raisonnable, mais l’effet cumulatif a une incidence drastique sur les volumes de bois disponibles.

Les municipalités qui désirent s’impliquer pour soutenir le développement économique du secteur forestier devraient s’assurer que la réglementation sur l’abattage d’arbres réponde aux besoins des producteurs forestiers. À cet effet, la Fédération québécoise des municipalités a publié le Guide d’aide à la rédaction d’un règlement municipal sur l’abattage d’arbres et la protection du couvert forestier afin de soutenir les municipalités qui désirent adopter des dispositions réglementaires permettant de protéger le couvert forestier tout en favorisant l’aménagement durable de la forêt privée.

Entreprendre les discussions

Les municipalités disposeront dorénavant d’un puissant levier fiscal pour accroître la sylviculture et la récolte du bois en forêt privée et ainsi dynamiser l’activité économique des régions forestières au bénéfice de ces communautés.

Les 134 000 propriétaires forestiers du Québec représentent un groupe de contribuables important pour plusieurs administrations municipales. Prises individuellement, les activités de gestion forestière présentent peu de revenus et de retombées économiques, mais collectivement, elles soutiennent une industrie forestière vitale pour l’économie de plusieurs régions du Québec. Il y a tout lieu pour les municipalités d’entreprendre des discussions constructives pour mieux comprendre et appuyer le travail individuel des producteurs forestiers. Les solutions proposées permettront ainsi aux communautés de mieux bénéficier du potentiel des forêts privées.