Les producteurs forestiers répondent à la forte demande

Au cours des 18 derniers mois, une récession d’une ampleur inattendue a laissé place à une reprise économique vigoureuse, mais inégale. De toute évidence, la volatilité a imprégné le marché des produits forestiers. D’une part, l’inadéquation entre l’offre et la demande de matériaux de construction en bois a propulsé leur prix vers une ascension vertigineuse puis dans une chute tout aussi brutale. D’autre part, hors de l’attention des médias, d’autres produits forestiers comme les pâtes et papiers ont vu leurs marchés s’améliorer après plusieurs trimestres où l’industrie n’a cessé de jongler avec l’offre afin de la coupler avec une demande évasive. Cette volatilité s’est également reflétée dans la mise en marché des producteurs forestiers qui s’est illustrée dans la première moitié de l’année, mais qu’en sera-t-il de la seconde?

Le prix des produits de construction en bois brise des records
La mise en marché des producteurs forestiers est particulièrement sensible au bon fonctionnement des activités de construction et de rénovation puisque tout près des trois quarts de leurs livraisons de bois sont destinés aux scieries de sapin-épinette ainsi qu’aux usines de panneaux OSB.

Le rythme des mises en chantier, tant aux États-Unis qu’au Canada, demeure nettement supérieur au niveau prépandémique en raison des bas taux hypothécaires et de l’avènement du télétravail. En effet, les mises en chantier aux États-Unis et au Canada en juillet ont atteint un rythme moyen de 1,80 million d’unités sur une base annualisée, en hausse de 25 % comparativement à juillet 2019. Seule ombre au tableau, l’émission de permis de construction connaît une trajectoire décroissante depuis le mois de mars 2021, fort probablement en raison de la hausse de prix démesurée des maisons unifamiliales au cours de la dernière année (+20 %).

La demande pour les matériaux de construction a été exceptionnelle durant les 6 premiers mois de l’année en raison de la construction immobilière et de l’engouement des consommateurs pour les rénovations. Cependant, au tournant de l’été les Rona, Home Depot et Lowe’s ont diminué de façon importante leurs commandes de matériaux de construction en bois. Signe que les Américains quittent leurs patios pour les plages : le trafic aérien américain se situe actuellement à 80 % de son rythme de 2019, contre à peine 20 % en juillet 2020.

Quant à l’offre de matériaux de construction, celle-ci est beaucoup plus abondante qu’à la même période l’an dernier. La production canadienne de bois d’œuvre a été 15 % plus élevée de janvier à mai cette année. Quant aux panneaux OSB, la production nord-américaine est en hausse de 7,1 % au cours du premier semestre. Cette hausse de l’offre a permis de normaliser les inventaires dans la chaîne d’approvisionnement, contrastant ainsi avec la pénurie des trimestres précédents.

La hausse de l’offre couplée à une plus faible demande de la part du secteur de la rénovation a provoqué une chute brutale du prix de ces matériaux de construction au cours de l’été alors qu’auparavant, ils brisaient des records. Malgré le ralentissement estival, la plupart des analystes et des dirigeants d’entreprises du secteur anticipent un certain rebond dans les prix du bois d’œuvre et des panneaux OSB, une fois que le rythme des travaux de rénovation reprendra. Par ailleurs, les récentes baisses de prix ont forcé plusieurs scieries de l’ouest du pays à cesser leur production, ce qui devrait occasionner un raffermissement de la valeur du bois d’œuvre résineux à court terme. Bien qu’il n’y a pas eu d’annonce d’arrêt de production lié à une baisse des conditions de marché au Québec, l’importante correction du prix du bois d’œuvre diminuera certainement le rythme d’achat de bois de sciage de sapin-épinette de la forêt privée.

Évolution du prix des produits du bois depuis le début de la pandémie
(en $ CA de 2021)

En parallèle, la reprise économique bénéficie présentement à l’industrie des composantes de palette en bois. Selon Statistique Canada, le prix des palettes a bondi de plus de 50 % comparativement à son niveau prépandémique. Cette hausse est partiellement tributaire d’un accroissement du prix du bois d’œuvre feuillu et par une accélération de la consommation nord-américaine cette année. Rappelons que près de 90 % de tous les biens achetés en Amérique du Nord transitent sur des palettes. Ainsi, les manufacturiers de palettes intégrées qui scient eux-mêmes leurs bois ronds ont vraisemblablement assisté à une embellie notable de leurs conditions de marché. Pensons ici à Scierie St-Fabien, Bois CFM, Groupe NBG, Damabois, Scierie du Petit-Saguenay, Menuiserie East-Angus et Bois Cargault. Espérons que cela profitera aux producteurs, et ce, bien que ce produit niché ne représente que 3,5 % des livraisons de la forêt privée en 2020.

Reprise du marché des pâtes et papiers
La demande de papier a été fortement ébranlée par un ralentissement économique mondial et les mesures de confinement causées par la pandémie. Le télétravail et la fermeture des milieux scolaires se sont traduits par une perte nette de la demande en 2020 et une baisse généralisée des prix. Pour répondre à cette faiblesse, l’industrie a procédé à une rationalisation de sa capacité de production dès le début de la pandémie. Dans le segment du papier journal, Produits forestiers Résolu (PFR) a procédé à la fermeture des usines d’Amos et de Baie-Comeau, résultant en une baisse d’environ 12 % de la capacité de production nord-américaine. Cela s’est également traduit par une baisse de 35 % des exportations québécoises au cours du premier semestre de 2021. Du côté du papier fin non couché (UFS), Domtar, qui appartient désormais à Paper Excellence, a fermé 5 de ses 12 lignes de production de papiers. Fort heureusement, l’usine de Windsor est demeurée ouverte.

Avec la généralisation de la fin des mesures de confinement, l’équilibre entre une offre réduite et un rebond de la demande laisse présager une amélioration des conditions de marché pour les papiers. Néanmoins, il aura fallu près de 15 mois et d’importantes fermetures d’usines en Amérique du Nord pour que les prix des produits papetiers reviennent à leur niveau d’avant pandémie. Il serait surprenant que la majorité des unités de production fermées puissent redémarrer considérant que l’accélération de l’adoption des nouvelles technologies a provoqué la destruction structurelle d’une partie de la demande de papiers.

Signe qu’une reprise économique est bien entamée, le prix de la pâte kraft résineuse (NBSK) a augmenté de plus de 30 % entre janvier et avril 2021. C’est également le cas de tous les types de pâtes de bois qui ont connu une trajectoire similaire depuis le début de l’année. Ce contexte a certainement bénéficié à Rayonier à Témiscaming, à Produits forestiers Résolu à Saint-Félicien et à SAPPI à Matane. L’ouverture de nouvelles usines en Amérique du Sud au cours des prochains trimestres pourrait cependant bouleverser l’équilibre sur ce marché à moyen terme.

Bien que les livraisons des producteurs aux usines de pâtes et papiers ont grandement diminué au fil du temps, il n’en demeure pas moins que ces actifs stratégiques contribuent à l’essor du secteur forestier en général. Depuis 2018, les producteurs forestiers ne livrent pratiquement plus de bois rond résineux directement aux usines de pâtes et papiers du Québec. Néanmoins, les copeaux de sciage résineux, qui représentent environ 38 % du volume des billes sciées, sont utilisés dans la production de papier journal un peu partout au Québec. Or, ce débouché est névralgique pour assurer l’écoulement des sous-produits des scieries. En revanche, les livraisons de bois à pâte feuillus des producteurs forestiers constituent toujours des approvisionnements stratégiques pour quelques papetières, cartonneries et pulperies.

Évolution du prix des pâtes et papiers depuis le début de la pandémie
(en $ CA de 2021)

L’impact pour les producteurs forestiers
La solide performance du marché des produits forestiers au cours de la première partie de l’année, particulièrement celle des produits de construction en bois, s’est traduite par une forte demande de bois rond. Collectivement, les producteurs forestiers ont été en mesure d’augmenter rapidement leurs récoltes. Les livraisons de la forêt privée québécoise sont en hausse d’environ 15 % sur un an, alors que le rythme des livraisons annualisé et désaisonnalisé est passé de moins de 5,7 Mm³, au déclenchement de la pandémie, à plus de 6,6 Mm³ avant la période du dégel de 2021.

Toutefois, la récente chute du prix du bois d’œuvre et des panneaux OSB a mis fin à cet élan. En effet, de plus en plus de scieries annoncent des baisses de prix pour le bois rond de sciage de sapin-épinette et contingentent la réception de bois. Espérons que ce désagrément sera temporaire, car les producteurs auront bien besoin de ces marchés pour compenser la baisse de la demande de bois à pâtes ainsi que pour écouler la hausse des volumes issus de coupes préventives et de récupération liée à l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE).