S'initier aux crédits de carbone forestier

La forêt est une alliée naturelle dans la lutte contre les changements climatiques en raison de la capacité des arbres à séquestrer le carbone. Le secteur forestier peut aussi contribuer par la mise en place de stratégies d’aménagement forestier visant à augmenter les stocks de carbone sur un territoire ou en assurant sa séquestration à long terme dans des produits forestiers.

Les entreprises sont encouragées à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) en adoptant de meilleures pratiques, à défaut de quoi elles peuvent compenser leurs émissions en procédant à l’achat de crédits compensatoires sur le marché du carbone. La financiarisation de la lutte contre les changements climatiques peut intéresser les propriétaires forestiers puisqu’il s’agit d’une avenue permettant de financer des investissements en sylviculture en procédant à la vente de crédits compensatoires. Les initiatives visant à vendre des crédits de carbone forestier s’accentuent, autant sur le marché volontaire que sur le marché réglementaire. Bien que ces deux marchés soient distincts, ils fonctionnent selon les mêmes préceptes.

La reconnaissance des projets

Il faut s’attarder aux 7 critères1 reconnus internationalement pour identifier et comprendre le fonctionnement des crédits de carbone forestier.

  • 1

    Réel : les gains revendiqués tiennent compte des émissions de CO2 du projet. De plus, les bénéfices ne doivent pas conduire à un déplacement des émissions, soit au principe de la « fuite ». Ainsi, selon certaines normes, la reconnaissance d’un boisement ne peut pas se faire au détriment du déboisement d’un autre secteur d’une propriété.

  • 2

    Additionnel : les crédits ne sont accordés que pour le carbone supplémentaire séquestré par rapport à celui quantifié dans un scénario de référence (en absence du projet).

  • 3

    Permanent : les gains revendiqués doivent être permanents, c’est-à-dire qu’ils doivent produire un effet climatique sur un horizon de 100 ans. En foresterie, la durée de l’engagement peut varier selon la norme et par la mise en place de certaines mesures de gestion, par exemple la mise en réserve d’une portion des crédits.

  • 4

    Quantifiable : les gains revendiqués doivent être quantifiés à partir de méthodes scientifiquement reconnues et conservatrices.

  • 5

    Vérifiable : les gains revendiqués doivent être vérifiés par un auditeur indépendant.

  • 6

    Contraignant légalement : le promoteur du projet ou le propriétaire des crédits doit respecter toutes les règles du marché du carbone afin de protéger l’intégrité du programme de compensation d’émissions de GES.

  • 7

    Unique : un gain revendiqué ne peut être comptabilisé qu’une seule fois et être reconnu qu’à un seul bénéficiaire. Il doit être répertorié dans un registre afin de prévenir un double comptage.

Les projets générant des crédits de carbone forestier

Les projets forestiers reconnus consistent à diminuer les émissions de GES résultants des pratiques d’aménagement, augmenter la captation et la séquestration de carbone par la forêt, prolonger la durée de séquestration du carbone atmosphérique (dans les forêts ou les produits forestiers) et favoriser la substitution vers des matériaux à faible empreinte carbone comme les produits du bois.

D’un point de vue financier, plusieurs variables influencent la rentabilité d’un projet.

  • La quantité de carbone séquestré qui dépend de la végétation existante avant le projet, des perturbations du sol, du volume additionnel de carbone capté et de la superficie. Chaque cas est unique.
  • La valeur des crédits sur le marché du carbone qui a atteint 35,62 $ par tonne équivalente de CO2 en 2022 (par rapport à 13,22 $ en 2014)2. La valeur est actuellement plus élevée sur le marché réglementaire que sur le marché volontaire, mais cela ne signifie pas que ce marché est plus rentable puisque les coûts de vente de crédits diffèrent d’une méthode à l’autre.
  • Les frais administratifs et techniques requis pour déposer un projet et procéder à la vente de crédits.
  • Les coûts de planification, de suivi et de vérification.

1 Santo, N., Monzini Taccone di Sitizano, J., Pedersen, E. et Borgomeo,E. 2022. Investing in carbon neutrality – Utopia or the new green wave? Challenges and opportunities for agrifood systems. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/cc0011en
2 Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). Résultats des ventes aux enchères . 

Le marché réglementé maintenant accessible pour les propriétaires forestiers

Le 14 décembre 2022, le gouvernement québécois a adopté un règlement permettant à un projet de boisement ou de reboisement admissible, de recevoir des crédits compensatoires reconnus par le marché du carbone Québec/Californie. Seuls les projets de boisement et de reboisement n’ayant pas été prévus dans un plan d’aménagement forestier ou liés à une prescription sylvicole sont considérés comme admissibles.

Ce règlement présente une nouvelle approche permettant d‘obtenir un crédit lorsque le carbone est séquestré dans la biomasse, donc lorsque les arbres ont atteint une dimension appréciable. Cette approche présente plusieurs avantages comme l’absence d’obligation à maintenir physiquement la plantation pendant plus de 100 ans et la possibilité pour un propriétaire de procéder à des récoltes après avoir vendu des crédits de carbone. Ainsi, le producteur demeure propriétaire du bois.

À certaines conditions, ce règlement reconnaît les boisements réalisés depuis 1990, soit des « projets hâtifs » qui doivent être présentés au MELCCFP d’ici décembre 2027 (60 mois). Dépendamment de leur âge, certaines plantations ont déjà accumulé une quantité appréciable de carbone pouvant être vendu sur le marché réglementé.

Prenez note qu’il est possible de continuer à bénéficier des aides financières, notamment celles liées au certificat de producteurs forestier ou agricole. Cette aide financière peut supporter le producteur à la mise en place de l’aspect forestier de son projet, mais ne couvre pas le volet administratif et technique en lien avec la gestion du carbone forestier.

Le producteur et son conseiller forestier doivent réaliser de nombreuses activités afin de présenter une demande de crédits compensatoires. Cela débute avec la caractérisation initiale du terrain, l’approbation par le MELCCFP du projet (au plus tard 2 ans après le début du projet ou 60 mois après l’adoption du règlement pour les projets hâtifs) et la vérification par un organisme externe.

Pour obtenir davantage de détails sur le marché réglementaire, le MELCCFP a prévu une page Web en lien avec la séquestration du carbone par le boisement et le reboisement sur des terres du domaine privé.

Les attentes des producteurs forestiers

La lecture du nouveau règlement démontre que plusieurs recommandations de la FPFQ ont été retenues à la suite des consultations gouvernementales. Toutefois, le volet administratif et technique sur le marché réglementaire demeure imposant. En terres privées, les superficies permettant de réaliser des projets de boisement demeurent essentiellement limitées puisqu’elles entrent en concurrence directe avec les autres vocations du territoire. Qui plus est, des analyses préliminaires réalisées il y a quelques années suggéraient que le seuil de rentabilité n’était atteint que pour des boisements d’au moins 10 hectares. Il est toutefois possible de développer des moyens pour diminuer le fardeau administratif afin d’améliorer la rentabilité des projets et ainsi générer des retombées plus intéressantes pour les propriétaires forestiers et la collectivité. Sur ce point, le concept d’agrégation de nombreux projets semble être le moyen afin de réduire le fardeau administratif. La FPFQ réfléchira aux moyens d’accroître la rentabilité pour les propriétaires forestiers, notamment par la collaboration avec les conseillers forestiers afin de réduire le fardeau administratif.

Quant au marché volontaire, les projets amélioreront la protection des forêts, mais leur popularité finira par nuire à la production de bois. Un illogisme si nous considérons que la société ne peut se passer de ce matériau vert dans un contexte de lutte contre les changements climatiques. Il faudra assurément poursuivre la réflexion, notamment en considérant adéquatement le carbone séquestré dans les produits du bois ainsi que son effet de substitution des matériaux de plus faible empreinte carbone. Il faudra également mieux approfondir le principe de fuite, notamment lorsqu’un volume équivalent de bois devra être coupé ailleurs pour compenser celui qui doit être laissé debout dans un projet carbone. La FPFQ souhaitera obtenir une meilleure reconnaissance du travail des producteurs forestiers qui peuvent à la fois préserver les fonctions environnementales des boisés (ex. : séquestration de carbone) tout en poursuivant leur rôle crucial d’approvisionner l’industrie forestière.

Ces assemblées sont pour vous!

C’est la saison des assemblées de secteurs précédant les assemblées régionales pour les producteurs forestiers. Nous vous invitons à y assister en grand nombre pour connaître les derniers développement touchant les marchés du bois, y comprendre l’impact des décisions du MRNF sur vos activités, élire vos représentants et exprimer vos besoins. Pour connaître l’heure et le lieu exacts, consultez le journal ou le site Web de votre syndicat ou office, ou communiquez avec le secrétariat.