Une année mouvementée sur le marché du bois et des produits forestiers

L’évolution fulgurante de la pandémie et le choc causé à l’économie mondiale par les mesures de confinement nous a fait craindre le pire pour l’industrie forestière. Après trois trimestres, et bien que nous soyons encore loin d’une sortie de crise, force est de constater que la pandémie a frappé fort et de façon inégale les principaux marchés des produits forestiers et incidemment, des producteurs de bois. Le segment des matériaux de construction en bois a défié pour le mieux toutes les projections inimaginables, alors que celui des pâtes et papiers a subi un double choc. D’une part, la récession mondiale a causé un ralentissement de la consommation de la plupart des biens, y compris le papier. D’autre part, l’implantation du télétravail à grande échelle et la fermeture des établissements scolaires a provoqué un changement d’habitudes de consommation, causant une diminution importante des commandes.

Le graphique ci-dessous illustre bien la divergence entre ces deux secteurs. À la verticale, on constate que les prix des panneaux et du bois d’œuvre résineux ont explosé en 2020, alors que le prix de toutes les pâtes et papiers a flanché. À l’horizontal, on distingue l’évolution des volumes consommés ou produits d’une année à l’autre. Ici, les manufacturiers de matériaux de construction en bois ont vu leurs volumes se stabiliser en 2020, alors que certains papetiers ont vu les leurs chuter de manière vertigineuse. Les produits ayant mal performé en termes de volume et de prix se retrouvent dans le quadrant inférieur gauche, alors que le bois d’œuvre résineux a surperformé dans le quadrant supérieur droit.

Variation du prix moyen et des volumes des produits forestiers
(janv. à sept. 2019 par rapport à janv. à sept. 2020)

Le déclenchement de la pandémie en mars et le spectre d’une récession brutale ont incité les manufacturiers de matériaux de construction en bois à diminuer leur production. Étonnamment, la demande fut supérieure aux attentes, alors qu’un million de travailleurs de la construction récemment mis au chômage en ont profité pour réaliser des projets de rénovation. La hausse de ces activités fut rapidement suivie par un accroissement de la construction résidentielle au début de l’été. Ce contexte a créé un profond déséquilibre entre l’offre et la demande qui s’est soldé par une augmentation significative du prix moyen du bois d’œuvre résineux (+51 %) et des panneaux OSB (+71 %). Réagissant à cette hausse de prix, ces manufacturiers ont haussé leur production pour rattraper le retard. Après trois trimestres en 2020, la production nord-américaine de bois d’œuvre (+2,4 %) et de panneaux OSB (-1,6 %) fut relativement stable.

Le segment des matériaux de construction en bois semble destiné à surperformer le reste de l’économie. Tant au Canada qu’aux États-Unis, la baisse des taux hypothécaires a stimulé le marché immobilier et la construction résidentielle. Encore mieux, la distanciation sociale, le télétravail et la désertion des centres-villes ont dynamisé l’appétit des consommateurs pour les résidences unifamiliales, qui nécessitent beaucoup plus de matériaux de construction en bois. Ce contexte favorable se poursuivra en 2021, alors que le consensus anticipe une croissance de 11 % des mises en chantier des résidences unifamiliales.

La consommation de carton-caisse aux États-Unis a progressé de 1,6 %, alors que les ventes en ligne battent des records, et ce, malgré le ralentissement important des ventes au détail induit par les mesures de distanciation sociale. Ceci s’explique par le fait qu’un achat en ligne nécessite 7 fois plus de carton-caisse que le même achat réalisé en magasin. La demande en provenance de ce segment devrait croître considérablement advenant que la tendance à la hausse des achats en ligne se maintienne dans un monde post-COVID. Toutefois, l’arrivée en masse de nouveaux producteurs comme Domtar aux États-Unis pourrait créer une situation d’offre excédentaire et, incidemment, une pression à la baisse sur les prix.

Après une année 2019 pénible, l’agonie s’est poursuivie sur le marché de la pâte dissolvante, alors que le prix a chuté d’environ 30 % depuis octobre 2018. Ceci a conduit à la fermeture de Fortress à Thurso à l’automne 2019 alors que la moitié des usines de ce secteur sont déficitaires. Cette situation a forcé plusieurs producteurs de pâte dissolvante à plutôt produire de la pâte kraft de feuillu. Ce changement a contribué à une augmentation de 10 % des livraisons mondiales de pâte feuillue après 3 trimestres en 2020, causant toutefois un effondrement du prix moyen (-21 %). Cet afflux de pâte de feuillu a sans doute aussi contribué à une diminution de la demande pour la pâte kraft de résineux puisque ces produits sont interchangeables dans de nombreuses applications. Conséquemment, les livraisons mondiales de pâte résineuse ont diminué de 8,8 % et le prix de 9,5 % pour les 9 premiers mois de 2020.

Le marché du papier d’impression en Amérique du Nord a connu une importante consolidation en 2020. Plusieurs fermetures d’usines ont eu lieu, alors que la demande nord-américaine accuse un retard de 20 % par rapport à l’an dernier. En dépit de ce contexte défavorable, les producteurs ont été en mesure d’équilibrer l’offre à la demande afin de maintenir le prix moyen à des niveaux semblables à l’an dernier. Le déconfinement au cours de l’été 2020 a amélioré la consommation de papiers, ce qui laisse présager un rebond partiel pour ce segment une fois que la situation sera normalisée. Il ne serait pas étonnant d’assister alors à une augmentation des prix considérant la capacité de production réduite.

Le papier journal semble être le grand perdant de 2020. Après 9 mois, les livraisons nord-américaines ont chuté de 26 % et le prix moyen s’est affaissé de 12 %. La chute des revenus publicitaires des médias écrits, causée par le ralentissement économique, a accéléré le déclin de ce segment. Ainsi, plusieurs arrêts de production ont eu lieu au Québec où se situent de nombreuses usines. Contrairement au papier d’impression, il est peu probable que les livraisons de papier journal rebondissent après la pandémie. Par conséquent, il faudra s’attendre à une rationalisation permanente de la capacité de production qui causera plusieurs soucis aux scieurs résineux du Québec qui chercheront par tous les moyens à écouler leurs copeaux.

L'impact pour les producteurs de bois

La COVID-19 a également eu son lot d’impact pour les producteurs forestiers du Québec. Premièrement, la crise sanitaire a causé un ralentissement dans la mise en marché ce printemps. Fort heureusement, cela a essentiellement coïncidé avec la période du dégel où les activités des producteurs forestiers tournent généralement au ralenti. Deuxièmement, l’évolution différente des marchés des produits forestiers a eu une incidence évidente sur la mise en marché du bois.

Les deux graphiques suivants illustrent la divergence qui a eu cours entre les livraisons de sapin et d’épinette principalement destinées au marché du bois d’œuvre, et les livraisons des autres essences. Ils indiquent le rythme des livraisons mensuelles désaisonnalisées et annualisées en forêt privée, c’est-à-dire qu’ils reflètent en tout temps le rythme annuel attendu de la mise en marché du bois de la forêt privée ajustée pour tenir compte des fluctuations saisonnières sur la récolte. À titre indicatif, la moyenne annuelle de 2020 s’échelonne de janvier à septembre. 

La demande pour le bois de sapin et d’épinette de la forêt privée fut importante au cours des 9 premiers mois de 2020. La mise en marché a évolué à un rythme similaire aux deux dernières années, en phase avec le marché du bois d’oeuvre. La demande résiliente pour le bois d’œuvre aura permis aux producteurs d’écouler leur bois de sciage de sapin-épinette, quoiqu’ils n’ont pas bénéficié d’une hausse équivalente en termes de prix que ce que les scieurs ont vécu en 2020.

Les livraisons des autres essences, surtout des feuillus, accusent un retard de plus de 10 % par rapport à 2019. La fermeture de l’usine de Fortress a eu des répercussions désastreuses pour les activités de récolte des producteurs forestiers de l’ouest du Québec. Qui plus est, d’importantes quantités de bois de feuillus de trituration des forêts publiques de l’Outaouais et des Laurentides ont été détournées ailleurs au Québec, au détriment des producteurs forestiers des régions voisines.

Les perspectives pour le bois de sciage résineux demeurent favorables, alors que le secteur de la construction apparaît vigoureux. La faiblesse généralisée des marchés papetiers occasionne un ralentissement de la livraison des autres essences. Or, la perte de débouchés pour ces autres produits nuit éventuellement à la mobilisation de l’ensemble du bois. Il faudra rapidement trouver des solutions pour relancer d’importantes usines consommatrices de feuillus de trituration afin de permettre aux producteurs de tirer pleinement profit de leurs forêts. Après tout, 54 % de la possibilité forestière de la forêt privée est composée d’essences feuillues. 

Nul doute, les producteurs forestiers sont impatients d’assister à la réouverture d’une usine pouvant consommer les importants volumes de feuillus disponibles en forêt privée, comme Fortress en Outaouais ou Norbord (West Fraser) au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les premiers bénéficiaires seraient certainement les propriétaires forestiers de ces régions, mais aussi ceux des régions limitrophes en raison de l’effet indirect du resserrement du marché du bois à pâte feuillu au Québec.