Une guerre commerciale dont personne ne veut
En 1942, au cœur de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis changent radicalement leur politique commerciale : ils s’émancipent du protectionnisme et deviennent rapidement le porte-étendard du libre-échange. La sécurité fournie par l’hégémonie des États-Unis sur les mers et la conclusion de multiples ententes commerciales permet à plusieurs pays d’accroître leurs échanges de biens afin de prospérer. Cette politique a été particulièrement bénéfique aux Américains.
Arrive Trump lors de son premier mandat en 2016 qui décide de casser cet héritage commercial en renforçant le protectionnisme dans une optique de rapatrier le secteur manufacturier et des centaines de milliers d’emplois aux États-Unis. Les récriminations et les tarifs visaient alors principalement la Chine. Le président américain va beaucoup plus loin dans son deuxième mandat alors qu’en l’espace de quelques semaines il a fait des tarifs le principal objectif de sa politique économique et commerciale. Il en a imposé contre le Canada, le Mexique et la Chine, en plus de menacer l’Europe et plusieurs autres nations. Une guerre tarifaire lui permettrait d’accroître les revenus du gouvernement, de restreindre les imports afin de protéger les producteurs domestiques et de heurter suffisamment ses partenaires commerciaux afin de leur soutirer des concessions. Les coups d’éclat sont monnaie courante depuis son élection.
Une guerre tarifaire sur plusieurs fronts
Le secteur forestier canadien est au cœur de cette guerre tarifaire, alors que plusieurs fronts s’ouvrent simultanément. Depuis avril 2017, le conflit du bois d’œuvre force les scieries canadiennes à payer des tarifs douaniers. Initialement fixés à 20 %, les taux sont révisés annuellement et atteignent pour l’instant 14,40 %, alors que les droits antidumping de 7,66 % s’ajoutent aux droits compensateurs de 6,74 %. La situation pourrait empirer sur ce premier front alors que le Département du Commerce des États-Unis a publié les résultats préliminaires du sixième examen administratif sur les droits antidumping. Selon cette analyse, ces derniers passeraient de 7,66 % à 20,07 % à compter d’août 2025. Pire encore, les analystes prévoient un bond des droits compensateurs lors de la prochaine révision puisque la période d’étude fait référence à un intervalle où le prix du bois d’œuvre était déprécié. Certains analystes évoquent de nouveaux taux de 30 % devant être appliqués plus tard en 2025.
Le 1er mars 2025, le président Trump a ordonné une enquête sur toutes les importations de bois d’œuvre, incluant celles du Canada. Le secrétaire au Commerce aura 270 jours (jusqu’au 26 novembre 2025) pour déterminer si des quotas et des droits de douane sont nécessaires pour protéger la sécurité nationale. Un décret ordonne que des décisions soient prises pour accroître la production américaine de bois d’œuvre. Les forêts publiques américaines seront mises à contribution afin d’approvisionner l’industrie forestière américaine.
Le 4 mars 2025, le gouvernement américain a annoncé des tarifs douaniers de 25 % sur l’ensemble des produits canadiens, incluant tous les produits forestiers. Ces tarifs ont été partiellement levés pour un mois en raison de la riposte tarifaire canadienne et de la chute boursière qui s’est ensuivie. Cette bataille n’est pas finie, car le président a promis de nouveaux tarifs le 2 avril prochain. Ce dernier a même fait allusion à des tarifs réciproques avoisinant les 250 % sur le bois. Ce front, contrairement aux deux précédents, comprend tous les produits forestiers et non pas seulement le bois d’œuvre.

L’addition de ces différents tarifs serait évidemment dommageable pour le secteur forestier. Bien qu’il soit soumis à des tarifs depuis des décennies dans le cadre du conflit du bois d’œuvre, le secteur forestier n’a jamais eu à jongler avec un environnement commercial aussi disruptif.
L’impact sur le secteur forestier québécois
Le secteur forestier québécois est forcément dépendant du marché américain. À titre d’exemple, bon an mal an, de 40 à 50 % du bois d’œuvre de la province est expédié aux États-Unis. Le graphique ci-bas confirme que les États-Unis accueillent la très grande majorité des exportations québécoises de produits forestiers. C’est encore plus vrai pour les matériaux de construction en bois (panneaux et bois d’œuvre) dont les spécifications et les mesures répondent aux demandes de ce marché. Le commerce des pâtes et papiers, bien que dépendant des États-Unis, est davantage mondialisé.

Qu’arrivera-t-il si des tarifs supplémentaires s’appliquent? D’emblée, les producteurs canadiens tenteront par tous les moyens de miser sur une hausse de la demande sur le marché domestique ainsi que sur la diversification des marchés d’exportation. En effet, les tarifs augmenteront le coût de production de l’industrie forestière canadienne pour tous les produits expédiés au sud de la frontière, et ce particulièrement en ce qui a trait aux matériaux de construction en bois, tels que le bois d’œuvre et les panneaux, fortement exportés sur ce marché.
Conséquemment, nous pouvons prévoir une hausse artificielle du prix des produits sur le marché afin d’absorber une partie de ces taxes. Une bonne proportion de cette hausse sera incidemment refilée aux consommateurs, à condition que la demande se maintienne. Toutefois, en raison des taxes, l’industrie forestière canadienne verra ses marges s’effriter, tandis que l’industrie forestière américaine verra ses profits décupler. Les investissements dans la capacité de production, autant dans de nouvelles installations que dans la modernisation de celles existantes, y seront concentrés. De manière insidieuse, l’industrie forestière canadienne verra ses parts de marché décliner lentement au profit des États-Unis… comme c’est déjà la tendance.
En ce qui a trait aux pâtes, papiers et cartons, nous pouvons nous attendre à un réajustement de la chaîne d’approvisionnement, alors que des volumes pourraient être forcés d’être redirigés ailleurs sur la planète pour éviter une série de tarifs. Toutefois, cette guerre tarifaire a le potentiel de s’étendre à d’autres marchés. Dès que les autres pays importateurs seront ciblés (Union européenne, Brésil, Chine), tous les compétiteurs internationaux seront mis sur un pied d’égalité pour accéder au marché américain. Et, puisqu’il est excessivement compliqué de construire de nouvelles unités de production aux États-Unis, les consommateurs américains seront forcément contraints d’augmenter le prix payé pour subvenir à leurs besoins.
Un élément discordant demeure. Les tractations de l’administration américaine pourraient conduire la première économie mondiale, puis le monde, dans une période de contraction économique. Auquel cas, l’ensemble de la demande pour les produits forestiers pourrait chuter. Or, c’est généralement à ce moment que les industriels sont contraints de fermer leurs unités de production les moins lucratives. À titre indicatif, nous pourrions penser que les scieries américaines resteront en activité alors que plusieurs scieries canadiennes fermeraient.
Bien que la situation s’avère préoccupante, il ne faut pas céder à la panique. Le président Trump multiplie les menaces, sans comprendre les implications profondes de ses décisions. Les erreurs qui se multiplient le poussent déjà à reculer à la pièce ici et là. Dans tous les cas, les marchés financiers ont offert tout un avertissement au président Trump en affichant une correction. Cela pourrait ralentir sa volonté à poursuivre une révision agressive des tarifs douaniers.
L’impact pour les producteurs forestiers
Il est difficile de chiffrer l’impact de cette guerre tarifaire pour les producteurs forestiers. Toutefois, nous pensons qu’il est raisonnable d’avertir les producteurs de modérer la production et de limiter les inventaires détenus. Il ne serait pas surprenant que des usines se voient contraintes de cesser leurs achats en forêt privée, advenant leur incapacité à vendre leurs produits de manière rentable sur le marché américain. Une baisse du revenu net des industriels forestiers pourrait également se traduire par une baisse de prix pour les producteurs de bois.
Tout au long de ce conflit, la FPFQ tentera de requérir auprès du Gouvernement du Québec l’élargissement de programmes d’aides et autres mesures de soutien à l’ensemble des acteurs de la filière œuvrant dans la chaîne d’approvisionnement (producteurs, transporteurs et entrepreneurs forestiers) plutôt que de miser exclusivement sur l’aide directe aux entreprises exportatrices (usines et négociants). Au niveau fédéral, Propriétaires forestiers du Canada incitera le gouvernement à adopter des mesures susceptibles de soutenir les producteurs, telles que le Régime d’épargne et d’investissement sylvicole personnel ou la négociation d’exemptions tarifaires pour les produits forestiers issus de bois rond récolté en forêt privée.
Entre-temps, il est impératif que les producteurs de bois se maintiennent fréquemment informés sur les marchés. Pour ce faire, ils peuvent contacter les syndicats de producteurs de bois avant d’entamer un chantier de récolte, consulter périodiquement Prixbois.ca et s’inscrire aux nouvelles économiques de la FPFQ sur cette même plateforme.