Les changements climatiques pourraient modifier considérablement la composition, la structure et le fonctionnement des écosystèmes forestiers, mais leurs effets varieront selon les régions. De façons générale, ils pourraient rendre les conditions de moins en moins favorables à la présence d’une espèce dans les secteurs les plus méridionaux de son aire de répartition, mais plus favorables à des latitudes plus nordiques. Les risques de mésadaptation des arbres aux nouvelles conditions climatiques sont donc souvent plus importants dans le sud du Québec. Dans certaines régions, plus du tiers des espèces d’arbres pourraient présenter des signes de mésadaptation d’ici la fin du 21e siècle, et ce, sur l’ensemble du territoire qu’elles occupent actuellement dans ces régions. Dans les décennies à venir, les choix d’aménagement pour chaque espèce devront tenir compte des différentes réalités régionales, en considérant que certaines espèces risque de ne plus avoir, localement, d’habitat favorable en raison du réchauffement du climat.

Des constats qui varient selon l’échelle d’interprétation

L’évaluation de l’impact des changements climatiques sur l’habitat des espèces dépend grandement de l’échelle d’interprétation. Un constat réalisé à l’échelle provinciale pourrait être très différent de celui effectué à une échelle plus régionale. Pour illustrer cela, prenons l’exemple du bouleau jaune. À la fin du 21e siècle, à l’échelle de la forêt sous aménagement du Québec, l’espèce paraît relativement peu vulnérable au réchauffement puisque les conditions demeurent favorables sur près de 90 % de son aire de répartition de référence (1961-1990; figure 1 A). Par contre, localement, il peut en être tout autrement. Comparons par exemple, la vulnérabilité de l’habitat du bouleau jaune au réchauffement climatique de la Montérégie (figure 1 B) à celle de la Capitale-Nationale (figure 1 C). Dans les deux cas, l’habitat modélisé du bouleau jaune couvre plus de 75 % de leur superficie. Par contre, en Montérégie, l’espèce pourrait être mésadaptée au nouveau climat sur la totalité de son habitat de référence avec des risques de perte d’habitat sur plus des deux tiers de ce territoire, alors que dans la région de la Capitale-Nationale, on n’appréhende aucune perte d’habitat. Dans cette région, les conditions climatiques de la fin du 21e siècle seront au moins aussi favorables qu’elles l’étaient à la fin du 20e siècle pour 96 % de l’habitat de référence. L’aménagement des peuplements pour maintenir ou favoriser le bouleau jaune dans un contexte de changements climatiques semble donc moins risqué dans la région de la Capitale-Nationale qu’en Montérégie.

Des régions plus ou moins vulnérables

Lorsque la vulnérabilité aux changements climatiques est évaluée pour l’ensemble des espèces présentes dans chaque région administrative, on remarque de grandes disparités régionales. Par exemple, dans les régions de Laval, de Montréal, de la Montérégie, du Centre-du-Québec et de l’Estrie, les conditions climatiques régionales pourraient devenir moins favorables à plus d’un tiers des espèces d’arbres actuellement présentes (figure 2A); au moins 75 % d’entre elles sont des espèces à valeur commerciale. On peut facilement entrevoir l’ampleur des conséquences écologiques et économiques que cela pourrait avoir dans ces régions. Ainsi, des interventions sylvicoles qui viseraient à favoriser à long terme les espèces à haut risque sur le territoire de référence devraient être remises en question. En revanche, des régions comme la Côte-Nord, le Nord-du-Québec ou le Saguenay-Lac-Saint-Jean semblent moins vulnérables sur le plan des pertes potentielles d’habitat, du moins d’ici la fin du 21e siècle.

Les conditions climatiques pourraient aussi devenir plus favorables à certaines espèces sur l’ensemble de leur territoire de référence dans certaines régions. C’est le cas pour un cinquième des espèces dans les régions de Lanaudière, de Laval, des Laurentides, de la Montérégie et de Chaudière-Appalaches, et pour plus du tiers des espèces dans les autres régions (figure 2B). Les résultats de la modélisation portent à croire que dans ces régions, une approche sylvicole visant à favoriser les espèces à valeur commerciale les moins vulnérables comporterait moins de risques.

En somme, bien que d’autres facteurs que le climat doivent être considérés en sylviculture, il sera de plus en plus important d’évaluer la sensibilité au climat de chaque espèce dans chaque région et d’adapter localement les pratiques d’aménagement. Cela devra néanmoins se faire en tenant compte du devenir de l’aire de répartition provinciale, voire même continentale, des espèces.

Note

D’autres résultats de ce projet sont présentés dans les Avis de recherche forestières nos 62 à 65. Tous présentent l’effet anticipé des changements climatiques sur l’habitat potentiel des arbres au Québec et non sur leur présence réelle. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un habitat est favorable à la présence d’une espèce que celle-ci l’occupe nécessairement; à l’inverse, une espèce peut occuper un habitat devenu défavorable.

Une carte de visualisation des espèces est disponible sur la page Web suivante : http://mffp.gouv.qc.ca/changements-climatiques/outil/carte.html

Pour en savoir plus…

Périé, C., et autres. Effets anticipés des changements climatiques sur l’habitat des espèces arborescentes au Québec. Mémoire de recherche forestière No 173. Gouvernement du Québec, ministère des Ressources naturelles, Direction de la recherche forestière, 2014, 46 p. [https://www.mffp.gouv.qc.ca/publications/forets/connaissances/recherche/Perie-Catherine/Memoire173.pdf]

Logan, T., I. Charron, D. Chaumont et D. Houle. Atlas de scénarios climatiques pour la forêt québécoise. Ouranos et Gouvernement du Québec, ministère des Ressources naturelles de la Faune et des Parcs, Direction de la recherche forestière, 2011, 124 p. [https://www.mffp.gouv.qc.ca/publications/forets/connaissances/recherche/Houle-Daniel/AtlasOuranos.pdf]

Logan, T. Les climats du Québec. Dans : Berteault, D., N. Casajus et S. de Blois (éds). Changements climatiques et biodiversité du Québec : vers un nouveau patrimoine naturel. Presses de l’Université du Québec, Rimouski, QC., 2014, p.29-48.

Adapté de l’avis de recherche 64 de la Direction de la recherche forestière du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

Article paru dans la revue Forêts de chez nous, édition novembre 2017.