Rétrospective d’une épidémie de tordeuse qui ne faiblit pas
La tordeuse des bourgeons de l’épinette est toujours présente dans les forêts québécoises, même en l’absence d’épidémie. D’ailleurs, l’épidémie que nous vivons actuellement est la quatrième depuis le début du 20e siècle. Les spécialistes considèrent qu’elle a débuté en 2006 lorsque des dommages se sont manifestés sur la Côte-Nord et au nord du lac Saint-Jean, même si des populations de tordeuse avaient été observées depuis 19921.
Aujourd’hui cette épidémie touche la majeure partie des régions du Québec. Seules les forêts privées des régions de l’Estrie, de la Montérégie, du Centre-du-Québec et de Lanaudière semblent être épargnées… pour l’instant. En se fiant aux épidémies précédentes, une épidémie durerait en moyenne de 10 à 15 ans au même endroit. Celle qui sévit actuellement joue avec la patience des propriétaires forestiers puisqu’elle se prolonge et reprend de l’ampleur après avoir donné des signes d’affaiblissement.
Défoliation causée par la tordeuse en forêt privée en 2024

Faits saillants de l’évolution de l’épidémie en forêt privée
Alors que les superficies infestées par la tordeuse des bourgeons de l’épinette en forêt privée ne cessaient de diminuer depuis 2021, les superficies défoliées ont doublé en 2024 par rapport à l’année précédente. L’inventaire aérien effectué par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) démontre que les superficies infestées en forêt privée sont passées de 0,70 Mha en 2023 à 1,39 Mha en 2024. À cela s’ajoute la forte hausse de l’intensité des dégâts causés par la tordeuse pratiquement partout au Québec. En 2023, les superficies touchées présentaient en majorité une défoliation légère et un peu plus d’un tiers (36 %) présentaient une défoliation grave à modérée. En 2024, ce sont 90 % des superficies en forêt privée qui sont touchées d’une défoliation grave à modérée.
Superficies infestées
L’insecte est présent sur une superficie équivalente à 19 % de toutes les forêts privées du Québec, incluant les régions épargnées pour l’instant. La superficie affectée par l’épidémie a doublé cette année, ce qui monte à plus de 31 000 l’estimation du nombre de propriétaires de boisés concernés par l’épidémie.
Évolution des superficies forestières infestées par la tordeuse

En 2024, l’épidémie a frappé le plus fort dans les régions de l’ouest de la province : Laurentides, Mauricie, Outaouais et Nord-du-Québec. Les superficies infestées par l’insecte rejoignent désormais celles situées à l’ouest du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Ouest du Québec : l’épidémie progresse vers le sud de l’Outaouais, au nord de la Mauricie et vers Chibougamau pour le Nord-du-Québec. Dans le Nord-du-Québec et en Outaouais les superficies touchées ont quasiment triplé, alors qu’elles ont été multipliées par neuf dans les Laurentides et en Mauricie. En revanche, en Abitibi-Témiscamingue les superficies de forêt privée infestées restent les mêmes avec toutefois une intensité plus importante.
Centre et nord-est du Québec : la progression de l’épidémie se poursuit en Chaudière-Appalaches et au Saguenay-Lac-Saint-Jean et dans une moindre mesure sur la Côte-Nord et dans la Capitale-Nationale. Chaudière-Appalaches reste toutefois la région la moins touchée puisque seulement 3 % de la forêt privée est infestée par la tordeuse. Sur la Côte-Nord, des dommages sont encore observés du côté de Forestville et Tadoussac. Pour la Capitale-Nationale, la progression est plus lente que ce qui est observé ailleurs.
Est du Québec : le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie sont les deux régions avec le plus d’hectares infestées par la tordeuse en forêt privée. Toutefois, l’évolution de l’épidémie a été différente dans ces deux régions en 2024. Alors qu’une baisse drastique des superficies touchées avait été observée au Bas-Saint-Laurent en 2023, cette année l’épidémie a resurgit dans plusieurs secteurs. Quant à la Gaspésie, même si les superficies infestées sont restées stables, elle demeure la région avec la plus grande proportion de forêt privée touchée, soit 64 %.
Il faut toutefois mentionner que les résultats des relevés aériens sont un portrait de l’étendue de l’insecte. Ils ne distinguent pas les forêts les plus à risque de dépérissement. Si on considère uniquement les peuplements vulnérables à la tordeuse, les superficies infestées s’avèrent beaucoup moins élevées.
Défoliation
En plus d’une augmentation importante des superficies infestées par la tordeuse en 2024, cette année est également marquée par une intensité exacerbée.
Alors que la défoliation grave représentait seulement 9 % des superficies en 2023, en 2024 c’est la défoliation légère qui est largement minoritaire puisque les classes de défoliation modérée et grave totalisent 90 % des superficies touchées par la tordeuse. Trois régions se démarquent avec plus de 50 % des superficies présentant une classe de défoliation grave : l’Abitibi-Témiscamingue, Chaudière-Appalaches et l’Outaouais. A contrario, les régions du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord présentent respectivement 20 % et 25 % de superficies avec une défoliation grave.
Superficies infestées par classe de défoliation (2021-2024)

Bilan du programme de protection des investissements sylvicoles en petites forêts privées
Les boisés privés de moins de 800 hectares d’un seul tenant peuvent bénéficier d’un programme de protection par arrosage d’insecticide biologique Btk (d’autres programmes étant conçus pour les plus grands propriétaires forestiers). Cet outil de contrôle des dommages de l’insecte se limite aux peuplements forestiers vulnérables ayant bénéficié d’investissements sylvicoles comme des plantations ou des éclaircies. La mise en œuvre du programme est confiée à la Société de protection des forêts contre les insectes et maladies (SOPFIM) qui travaille en collaboration avec les intervenants en forêt privée.
La superficie totale traitée par arrosage en 2024 s’est élevée à 9 566 hectares. Il s’agit d’une hausse de près de 90 % par rapport à 2023 en raison de l’augmentation de l’intensité de l’épidémie. Au total, 673 propriétaires forestiers ont pu bénéficier des arrosages réalisés par la SOPFIM afin de protéger leurs investissements sylvicoles. Parmi l’enveloppe totale allouée à la SOPFIM, des sommes sont disponibles pour les traitements des prochaines années en forêt privée. Les propriétaires forestiers inquiets pour leurs investissements sylvicoles peuvent consulter le site Web de la FPFQ pour obtenir davantage d’informations.
Évolution des superficies infestées et du programme de protection des petites forêts privées

Dès la saison 2025, la SOPFIM mettra en œuvre une nouvelle orientation concernant la lutte directe contre la tordeuse. Les résultats d’essais expérimentaux en collaboration avec des chercheurs montrent que des pauses de traitement une année sur deux permettent de protéger efficacement les peuplements résineux. Afin d’optimiser la rentabilité des opérations, il a donc été décidé d’appliquer les arrosages une année sur deux à partir de 2025. Cette nouvelle modalité est toutefois conditionnelle à l’atteinte de l’objectif de protection de la mortalité et au maintien d’une capacité photosynthétique résiduelle minimum. Ainsi, aucune pause de traitement ne pourrait être appliquée en Abitibi-Témiscamingue étant donné que les premiers arrosages ont eu lieu en 2023 et que cette saison avait été marquée par les feux de forêt qui ont réduit les opérations de la SOPFIM. La situation sera réévaluée à l’automne 2025, en fonction de l’évolution des dommages causés par la tordeuse.
La protection des investissements sylvicoles contre la tordeuse
La mise en œuvre du programme est principalement confiée à la SOPFIM, mais la responsabilité de la protection des investissements sylvicoles contre la tordeuse en forêt privée incombe également aux propriétaires et conseillers forestiers. Les superficies à protéger doivent impérativement être identifiées avant le 1er juillet de l’année précédant les arrosages. Un résumé du partage des responsabilités dans la protection des investissements sylvicoles est disponible sur le site Web de la FPFQ.
Il ne suffit pas d’identifier les superficies à protéger, il faut également s’assurer que le statut de producteur forestier des propriétaires qui souhaitent voir leurs peuplements protégés soit à jour. Pour la saison 2024, ce sont 3 333 ha de forêts privées qui se sont vues disqualifiés pour le programme de protection; ces superficies disposaient d’une entente, mais le propriétaire n’avait pas, ou plus, le statut de producteur forestier. Parmi ces superficies n’ayant pu être protégées, 2 253 ha se situaient au Bas-Saint-Laurent.
En terminant, la FPFQ rappelle que la vigilance des propriétaires forestiers est de mise pour détecter et remédier aux effets perturbateurs de l’épidémie. Les propriétaires forestiers peuvent consulter la carte interactive du gouvernement du Québec Forêt ouverte qui permet de visualiser plusieurs données sur la tordeuse. Pour ce faire, dans le menu, il s’agit de sélectionner « Cartes prédéfinies » et de choisir « Tordeuse des bourgeons de l’épinette ». Les propriétaires forestiers pourront, par exemple, vérifier si un peuplement forestier vulnérable est présent sur un lot boisé simplement en entrant l’adresse ou le numéro du lot.
Les prochaines étapes
La FPFQ poursuit son travail de concertation avec ses partenaires afin d’atténuer l’impact de l’épidémie de la tordeuse sur les forêts privées. Les travaux se poursuivent afin d’adresser les enjeux que vivent les producteurs forestiers des régions affectées. Nos interventions visent à :
- assurer une meilleure coordination de la récolte des volumes de bois provenant des forêts publiques et privées affectées par la tordeuse;
- augmenter la disponibilité des plants forestiers et les budgets de mise en valeur pour remettre en production les sites récoltés;
- poursuivre la diffusion d’informations et l’analyse des besoins régionaux;
- rechercher des moyens pour améliorer l’accessibilité du programme d’arrosage afin d’accroître la protection des forêts privées vulnérable.
Pour tout savoir sur l’épidémie en cours, rendez-vous au foretprivee.ca/tordeuse.
Note de bas de page
1 https://mffp.gouv.qc.ca/documents/forets/protection/fiche-synthese-TBE.pdf