Chaque année, près de 150 000 camions chargés de bois sillonnent les forêts privées du Québec pour alimenter plus de 200 usines de transformation. À leur vue, plusieurs concitoyens pourraient craindre une exploitation déraisonnée de la ressource. Il faut dire que les cicatrices de L’Erreur boréale ne sont pas toutes guéries, ayant été récemment ravivées par les plaies du caribou forestier.

Pourtant, me croiriez-vous si je vous disais que malgré l’appétit insatiable des forestières, les forêts privées n’ont cessé de croître depuis plus de 50 ans? Le volume de bois sur pied de ces forêts a presque doublé depuis le premier inventaire écoforestier réalisé entre 1970 et 1983 par le ministère des Forêts. Le cinquième inventaire en cours de réalisation permet de constater que le boisement de friches, les nombreux investissements sylvicoles et la maturation des peuplements forestiers ont généré une quantité phénoménale de matière première dans nos boisés.

À cela s’ajoute un niveau de récolte modéré, puisque bien en deçà de la possibilité forestière. Ces savants calculs réalisés par des forestiers permettent d’évaluer le niveau maximal de récolte de bois qu’il est possible de prélever sans compromettre la pérennité de la ressource forestière. Autrement dit, récolter les intérêts sans compromettre le capital.

C’est pourquoi votre fédération s’implique actuellement à évaluer la possibilité forestière par groupe d’essences dans les différentes régions du Québec à mesure que deviennent disponibles les données du cinquième inventaire écoforestier. Collaborant avec le ministère des Ressources naturelles et des Forêts et des firmes de consultants, la Fédération des producteurs forestiers du Québec (FPFQ) est à pied d’œuvre pour proposer cette solution de calcul à l’ensemble des agences régionales de mise en valeur des forêts privées.

J’espère que ces calculs sauront rassurer tous ceux qui craindraient une exploitation déraisonnable de la ressource par les forestiers. Individuellement et collectivement, il est de notre devoir d’assurer le renouvellement de la forêt, sa productivité et son utilisation diversifiée pour les générations actuelles et à venir. Il est aussi de notre intérêt d’empêcher sa surexploitation. Or, bon an mal an, nous prélevons moins de la moitié de la possibilité forestière en forêt privée.

Ainsi, notre plus grand défi ne consiste plus systématiquement à chercher à se conformer à la possibilité forestière, mais plutôt à trouver des moyens pour tendre vers elle. Outre les marchés du bois sans débouchés ou bien l’environnement réglementaire de plus en plus complexe et contraignant pour le producteur, le manque de relève diminue peu à peu la capacité de récolter du bois dans les forêts privées. J’encourage donc tous les propriétaires forestiers, que leur objectif premier soit la production de bois ou la conservation des milieux naturels, à participer activement à l’aménagement forestier.

Il faudra trouver le moyen d’inverser cette tendance grandissante du capital boisé laissé à perte, car ce n’est plus le concept de possibilité forestière que nous chercherons à évaluer, mais bien celui de l’impossibilité forestière, à mesure que les contraintes à l’aménagement durable des forêts se multiplieront.

Gaétan Boudreault
Producteur et président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de septembre 2024.