À l’heure où le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs souhaite accroître la récolte de bois en forêt privée, il est bon de se rappeler que la logique d’un ingénieur forestier n’est pas toujours celle d’un propriétaire forestier.

Là où le premier propose de récolter un peuplement forestier mature pour la transformation industrielle, nous avons un propriétaire valorisant les différents usages de sa forêt qu’il espère transmettre un jour à ses enfants.

Là où le premier voit l’opportunité de réduire ses frais d’exploitation par l’agglomération de plusieurs propriétés et une meilleure synchronisation des travaux sylvicoles chez plusieurs voisins, nous avons un propriétaire qui aime prendre ses décisions en toute indépendance, avec le sentiment de bien comprendre les impacts des travaux sylvicoles proposés par les professionnels.

Là où le premier situe le prix du bois en fonction de la demande sur les marchés, nous avons un propriétaire qui, conscient des frais qu’il a engagés dans sa production, remet en question la rentabilité de l’exercice.

La réconciliation des deux univers se fait par l’établissement d’un lien de confiance, entre le professionnel et le propriétaire forestier, qui se développe par une communication assidue pour comprendre la logique de l’autre. Cette réconciliation passe également par la mise en œuvre de mesures incitatives pour le producteur dont la récolte de bois n’est généralement pas l’objectif principal, et qui doit faire face à un marché rébarbatif par sa complexité, à des redevances parfois insuffisantes sur le bois récolté et à un traitement fiscal défavorable.

Cette interaction est sans aucun doute l’un des plus grands bénéfices des programmes gouvernementaux soutenant les travaux sylvicoles : un apprentissage mutuel où l’un apprivoise la réalité de l’autre en discutant des potentiels de mise en valeur d’un lot boisé. Améliorer la résistance d’un peuplement face aux insectes ravageurs, comprendre l’impact d’une éclaircie forestière, discerner le façonnage des bois qui permet d’accroître la rentabilité des travaux de récolte : voilà des sujets de discussion qui demandent du temps aux professionnels, mais qui pourront mener à une plus forte mobilisation de propriétaires envers l’aménagement forestier, ce qui se traduira ultimement par une récolte de bois.

Puisque la livraison des programmes de mise en valeur des forêts privées favorise ce rapprochement, il est essentiel que le gouvernement en maintienne le financement, pourtant en constante régression depuis 2010. J’espère donc que le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs s’efforcera, comme il nous l’a récemment mentionné, d’obtenir une contribution du gouvernement fédéral pour les programmes de mise en valeur des forêts privée, d’améliorer les critères d’admissibilité au Programme de remboursement des taxes foncières pour les producteurs forestiers, d’abolir la taxe sur les opérations forestières, et même de créer un régime d’épargne et d’investissement sylvicole. Il en résultera un plus grand nombre de propriétaires engagés intensivement dans la production forestière.

En moyenne, les propriétaires conservent leurs boisés pendant plus de 20 ans. Imaginez l’impact d’un lien de confiance solide. Imaginez le contraire.

Pierre-Maurice Gagnon
Producteur et Président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec

. Éditorial paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de mai 2015