Feu foret

L’année 2023 a été marquée par les feux de forêt d’une intensité et d’une ampleur peu commune. Selon la SOPFEU, de janvier à septembre, 679 feux principalement allumés par la foudre ont provoqué la destruction de 5,30 Mha de forêts. Les feux ont endommagé environ 3,81 Mha en zone nordique, soit des forêts n’étant pas aménagées pour des fins d’approvisionnement de l’industrie forestière. Néanmoins, 1,49 Mha de forêts en zone intensive constituant le bassin d’approvisionnement de l’industrie forestière ont été endommagées. À titre indicatif, à peine 300 ha avaient été ravagées par 431 incendies l’année précédente.

La sécheresse du printemps conjuguée à des épisodes météorologiques favorisant la foudre ont créé une tempête parfaite. Bien que des épisodes de grands feux surviennent sporadiquement, l’impact des changements climatiques sur l’écosystème forestier a probablement accentué la situation. La hausse moyenne de la température assèche plus rapidement les sols et la biomasse et accroît l’intensité énergétique des catastrophes climatiques.

Généralement, et ce fût encore le cas cette année, les feux sont davantage associés aux forêts résineuses nordiques, et donc principalement situées en territoire public (Lac-St-Jean, Côte-Nord, Abitibi-Témiscamingue, Nord-du-Québec et nord de la Mauricie). La vallée du St-Laurent et les Appalaches, dominées par les peuplements feuillus et mixtes, sont généralement moins susceptibles d’être perturbées par le feu, les incendies qui s’y développent demeurent limités pour deux raisons. Premièrement, les feuillus constituent des murs anti-feux efficaces en raison du contenu en humidité de leurs feuilles. Deuxièmement, la proximité des forêts privées et des infrastructures publiques accélère l’urgence et le temps de réponse des responsables de la sécurité publique (principalement la SOPFEU et les pompiers municipaux).

Sur le plan macroéconomique, les feux de forêts ont provoqué la fermeture de plusieurs usines de transformation du bois dans les régions nordiques. Cette baisse de l’offre de produits forestiers a eu lieu alors que la demande pour les produits du bois est chancelante. En effet, l’impact de la hausse des taux d’intérêt provoque un ralentissement du secteur immobilier. L’effet de la contraction de l’offre sur les marchés fût somme toute limité, comme en témoigne l’évolution du prix du bois d’œuvre.

Pour les producteurs forestiers œuvrant en forêt privée, la majorité de l’impact est chose du passé. Les producteurs ont dû cesser leurs opérations quelques semaines en raison du risque d’incendie, mais la situation s’est résorbée depuis.

Cependant, les producteurs forestiers des régions de l’Abitibi-Témiscamingue, du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord devront principalement composer avec une hausse de la concurrence à mesure que les récoltes de secteurs incendiés en forêt publique s’accélèrent. Ceux des régions plus éloignées pourraient être en grande partie épargnés, car les scieries clientes sont localisées trop loin des forêts incendiées pour justifier le déplacement du bois.

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) a préparé des plans d’aménagement spéciaux de récupération dans les zones touchées par les incendies alors que le Bureau de mise en marché des bois (BMMB) est déjà à pied d’œuvre pour organiser la vente de bois qui sera récupéré. Au total, plus de 1,83 Mm³ de bois est déjà mis aux enchères, dont 92% en résineux. À cela s’ajoute un volume de 0,78 Mm³ de bois que le MRNF a déjà accordé en vente de gré à gré. Ces volumes peuvent paraître énormes, mais ils demeurent largement inférieurs à ceux réellement carbonisés.

Toutefois, plusieurs raisons suggèrent que cet enjeu sera passager. Premièrement, comme nous le rappelle le CIFQ, il est impératif de récupérer le bois avant le printemps prochain, moment où il sera colonisé par des hordes d’insectes qui anéantiront sa mise en valeur potentielle. La cohue causée sera temporaire, à moins qu’elle ne force un décalage des droits forestiers déjà consentis lors des années subséquentes.

Deuxièmement, les usines de transformations du bois ne sont pas friandes d’une matière première contenant de la suie. Les opérations en sont ralenties et les produits finis peuvent être affectés. Par ailleurs, la récolte de bois brûlé entraîne une logistique plus lourde, affectant la productivité et le rendement. La hausse de coût conjuguée à la faiblesse du marché du bois d’œuvre diminue les marges des scieurs, comme en témoigne la décision des dirigeants de Produits forestiers Résolu de cesser temporairement les opérations à la scierie Comtois de Lebel-sur-Quévillon.

Troisièmement, une portion du parc de machinerie a été ravagée par les incendies. Selon l’Association québécoise des entrepreneurs forestiers, plus de soixante machines forestières ont été incendiées, représentant des pertes de plusieurs dizaines de millions de dollars. Assurés ou pas, de nombreux entrepreneurs devront assumer d’importantes pertes financières. Dans tous les cas, le remplacement des équipements sera ardu et lent, voire interminable aux yeux des entrepreneurs forestiers affectés.

Conscients des risques pour les années à venir, les acteurs du secteur forestier s’accordent sur la nécessité de préparer des mesures de contingence pour éviter la répétition d’une telle catastrophe. En forêt privée, cela présuppose de :

  1. Réfléchir à une stratégie d’adaptation des forêts aux changements climatiques permettant d’accroître la résilience des forêts contre des perturbations naturelles amplifiées.
  2. Obtenir une source de financement permettant de mettre en œuvre des stratégies d’aménagement forestier dans un contexte d’adaptation aux changements climatiques et de protection de la biodiversité.
  3. Préparer un plan de prévention et d’intervention lors de catastrophes naturelles en forêt privée québécoise qui permettra au MRNF et aux producteurs forestiers de coordonner leurs efforts de récolte des bois affectés.
  4. Communiquer adéquatement aux propriétaires et producteurs forestiers les saines habitudes d’aménagement et de travail requises pour éviter la propagation d’incendies forestiers.

Ces actions ne pourront être mises en vigueur par la Fédération des producteurs forestiers du Québec sans la collaboration du MRNF et des autres acteurs du secteur forestier.