Historique du conflit

Les tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis sur le bois d’œuvre résineux perdurent depuis près de quarante ans, alimentées par des mesures protectionnistes répétées par différents gouvernements américains. À l’origine de ces conflits récurrents, les États-Unis accusent l’industrie forestière canadienne de « dumping », ce qui a conduit à l’imposition régulière de tarifs douaniers sur les exportations de bois d’œuvre en provenance du Canada. Washington argue que, puisque 94 % des forêts canadiennes sont publiques, cela constitue une subvention indirecte. Les redevances versées par les entreprises aux gouvernements provinciaux seraient jugées insuffisantes, conférant ainsi un avantage financier injuste aux scieries canadiennes.

Bien que le Canada ait contesté ces accusations à de nombreuses reprises devant des instances internationales, cette position reste inchangée du côté américain. Depuis 2016, les droits antidumping et compensateurs sur le bois d’œuvre font l’objet de révisions annuelles, souvent contestées, notamment auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), désormais remplacé par l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).

Les tarifs à l’exportation

Les droits compensateurs sont des taxes imposées sur les importations lorsqu’un produit est jugé subventionné par son pays d’origine, faussant ainsi la concurrence. Les droits antidumping, quant à eux, sont appliqués lorsqu’un produit est vendu à l’étranger à un prix inférieur à celui pratiqué sur le marché domestique, ou en dessous de son coût de production, dans le but de capter des parts de marché. Ces deux types de droits sont des mesures de protection commerciale visant à protéger les industries nationales contre une concurrence jugée déloyale.

Malgré certaines décisions favorables pour le Canada, les tensions persistent; les droits compensateurs et antidumping sont difficilement applicables et créent des incertitudes économiques des deux côtés de la frontière. Les tarifs douaniers heurtent le secteur forestier canadien, de la souche a l’usine, tandis qu’aux États-Unis, les consommateurs s’approvisionnant en bois d’œuvre canadien voient leur facture gonfler artificiellement.

Ces tarifs peuvent varier d’une entreprise à l’autre, mais, au Québec, toutes les scieries sont soumises aux mêmes droits. Actuellement, les taux combinés sont établis à 14,40% pour toutes les autres entreprises, soit 7,66% pour les droits antidumping et 6,74% pour les droits compensateurs. Les taux actuels, issus du cinquième examen administratif, suscitent déjà de l’inquiétude dans l’industrie, mais une hausse encore plus marquée est redoutée pour 2025.

Le Département du Commerce des États-Unis (DOC) ajuste ces taux en fonction de divers critères, dont le prix du bois : plus ce dernier est élevé, plus la taxe est faible, et inversement. Les prévisions suggèrent que les taux pourraient atteindre 30 % lors de la prochaine révision, ce qui serait un coup dur pour les exportateurs canadiens, particulièrement si le prix du bois d’œuvre sur les marchés reste bas.

Des milliards de droits collectés

Entre 2017 et 2023, dans le cadre du plus récent conflit, le Canada a exporté annuellement en moyenne 13,4 G PMP de bois résineux vers les États-Unis, dont environ 2,2 G PMP provenaient du Québec. Sur les huit dernières années, ces exportations représentent 55 % de la production canadienne et 38 % de celle du Québec. Au cours de cette période, ces volumes ont diminué de 22 % pour l’ensemble du Canada et de 15 % pour le Québec, reflétant en partie caractère prohibitif des tarifs sur le commerce transfrontalier de bois d’œuvre.

Selon nos estimations, depuis 2017, ces mesures auraient permis aux autorités américaines de percevoir environ 10 G$ en droits d’exportation auprès de l’industrie forestière canadienne, dont 2 G$ provenant du Québec. Ces résultats ont été obtenus en multipliant le volume exporté par le prix de référence, ce qui nous a permis de calculer les recettes d’exportation. Nous avons ensuite appliqué les taxes en vigueur sur cette période, afin d’extrapoler le montant perçu par les autorités américaines sur les exportations canadiennes.  Ces prélèvements constituent un manque à gagner pour le secteur forestier canadien, affaiblissant la capacité d’investissement et diminuant les sommes pouvant être transférées aux fournisseurs tels que les producteurs de bois. Ils contribuent aussi à hausser artificiellement le prix du bois d’œuvre ainsi qu’à créer un afflux de bois d’œuvre européen sur le marché étatsunien.

Les victimes collatérales du conflit

Les producteurs de bois de la forêt privée, qui fournissent 19 % de l’approvisionnement en bois rond résineux de l’industrie forestière québécoise, subissent aussi l’impact des taxes américaines, car le bois rond destiné aux scieries s’en trouve dévalué pour absorber une partie des taxes imposées. Entre 2017 et 2023, les volumes de bois mis en marché en forêt privée, principalement du sapin, de l’épinette et du pin gris, destinés aux scieries québécoises ont atteint en moyenne 3,9 Mm³ par an, soit 63 % des volumes totaux vendus en forêt privée.

Face à ce conflit, la Fédération des producteurs forestiers du Québec revendique une exemption de taxe et de quotas sur le bois d’œuvre produit avec du bois provenant des forêts privées canadiennes. La situation des 450 000 propriétaires canadiens s’apparente à celle vécue par les 10 millions de propriétaires forestiers américains. Ceux-ci tentent de maximiser leurs revenus lorsqu’ils récoltent ou font récolter du bois sur leurs propriétés. Cette demande a pour but d’éviter une baisse de revenus des producteurs, et de les extirper une fois pour toutes d’un conflit qui vise d’abord la gestion des forêts publiques canadiennes.