La servitude de conservation ne sert pas que pour protéger les grands massifs forestiers privés. Onil et Georgette Faucher sont propriétaires d’un lot de 25 ha à Bolton-Est, dans la MRC de Memphrémagog. De la résidence, on peut voir le mont Chagnon, situé du côté sud de l’autoroute 10.

Au printemps 2017, le couple a signé des documents afin d’instituer une servitude de conservation qui contribue à assurer la pérennité des habitats, dont un milieu humide fréquenté par une large variété d’oiseaux.

Onil Faucher est membre de Conservation des vallons de la Serpentine (CVS) depuis plusieurs années et il en a été administrateur en 2009-2010. C’est avec ce groupe qu’il a conclu la servitude de conservation, assisté par les experts du Corridor appalachien auquel CVS est affilié. Passionné d’ornithologie, M. Faucher arpente la région depuis des années pour y inventorier les espèces aviaires.

La servitude de conservation couvre 21,4 ha de la propriété, dont 6,84 ha en conservation extensive, désormais une « zone verte ».

Le milieu humide comprend notamment une héronnière. Crédit photo Jacques Sztuke.

Chronologie des événements

Les Faucher ont acheté la terre en 1975 avant même d’être propriétaires d’une résidence principale. Ils y sont venus avec les enfants alors qu’il n’y avait pas de chemin d’accès pour s’y rendre. Puis, ils ont construit un premier pavillon à trois côtés, et plus tard un chalet, lequel a par la suite été agrandi et transformé en résidence permanente en 2006. 

Originaire de Magog et ayant fait ses études en biologie à Sherbrooke, Onil Faucher a trouvé du travail dans la région de Montréal, mais la forêt lui manquait, explique-t-il. La terre offrait à la fois la vue et la tranquillité recherchée. « Si vous regardez la maison comme il faut, la façade tourne le dos au chemin. C’est le paysage qu’on voulait voir. » En 1966, la première version du chalet a été construite avec le père de M. Faucher, charpentier-menuisier, et son fils alors âgé de 18 ans, devenu entrepreneur forestier. Le bois a été coupé sur la propriété.

La résidence des Faucher tourne le dos à la route. Ils ont gardé l'usage exclusif d'une petite portion de la propriété de 25 ha. Crédit photo Alain Castonguay.

À la retraite depuis 2004, Onil Faucher a d’abord bâti un atelier juste à côté de la résidence. Depuis quatre ans, il a ajouté une cabane à sucre où il fabrique quelques gallons de sirop pour les besoins de la famille. « J’adore faire du sirop, c’est valorisant. Tu mets au point un produit fini qui est de très haute qualité, surtout à petite échelle comme ici, fait un peu à l’ancienne. J’ai un très bon équipement et je contrôle la qualité », dit-il.

Selon les termes de la servitude de conservation signée au printemps dernier, les propriétaires ont conservé tous leurs droits sur une portion d’environ 3,5 ha, à proximité du chemin du 11e Rang. Cette portion comprend la maison, l’atelier et la cabane à sucre, et l’un des enfants aura le droit de s’y construire, s’il le désire. 

La construction sera désormais interdite dans la partie du terrain grevée par la servitude. M. Faucher continue de récolter le bois dans la partie extensive et a conservé l’usage des infrastructures existantes : ses chemins, un abri, un rond de feu et une plateforme d’observation à proximité du milieu humide.

Valeur de conservation

Son droit de propriété n’est pas du tout remis en cause par la servitude, précise-t-il. Les prochains propriétaires, que ce soient les enfants du couple ou un autre acquéreur, devront respecter les conditions du contrat notarié et annexé au titre de propriété.

Onil Faucher, qui a toujours voulu préserver le caractère naturel de sa propriété, se dit favorable à limiter la construction en milieu forestier. La région est très convoitée par les promoteurs qui souhaitent y subdiviser un lot en parcelles de quelques hectares pour favoriser l’établissement de plusieurs résidences.

« Ceux qui y résident ont le droit de se construire, d’utiliser le potentiel forestier, de fréquenter le territoire pour les loisirs ou la cueillette écologique, peut importe. Ils doivent avoir de l’ouverture pour les gens de l’extérieur, mais il faut à tout prix arrêter de construire n’importe où, n’importe comment. Surtout quand on est en zone blanche, comme ici, où l’on a pas de contraintes. Les seuls qui s’imposent des contraintes, c’est nous », dit-il.

Onil Faucher a rapidement découvert que son lot boisé était un habitat faunique de grande valeur. La zone de conservation intégrale touche un marais fréquenté par des hérons. Le couple y accueille des ornithologues et des passionnés de photographie. « Vous savez que pour tout le Québec, des habitats comme celui-là, il y en aurait seulement 200 qui sont inventoriés », mentionne-t-il. M. Faucher a pu instituer la servitude grâce au fonds dominant de la propriété d’Anne Brzeski, située en bordure du chemin Bellevue qui, elle aussi, en a autorisé une en février 2017. La propriétaire veut y créer la réserve naturelle Olek-Brzeski en hommage à son père qui lui a légué la terre de quelque 100 ha. Caroline Daguet, du Corridor appalachien, a aidé M. Faucher à préparer l’inventaire écologique de sa propriété. Un autre groupe de recherche de Sherbrooke spécialisé dans les marais et les milieux humides a aussi participé à l’inventaire. M. Faucher a largement alimenté les données touchant la faune aviaire. « J’ai préparé mes chemins pour planifier les travaux éventuels de récolte et pour minimiser les efforts tout en limitant les dommages. J’ai toujours la conservation en tête, mais je veux aussi bénéficier de tout ce que la forêt nous offre. C’est incroyable; c’est tellement riche! » dit-il. Durant tout notre entretien, le couple regarde par la fenêtre. Différents oiseaux viennent se nourrir dans les mangeoires, dont des geais bleus qui raffolent des arachides en écales. « C’est notre poste de télévision, ouvert en permanence », note Georgette Faucher.

Caroline Daguet, du Corridor appalachien, et Onil Faucher, lors d'une visite organisée avec un groupe d'ornithologues. Crédit photo Corridor appalachien.

Le pavillon à trois côtés, près du marais, offre une vue imprenable sur le mont Chagnon. C’est un joyau qui attire les visiteurs. « On a un petit foyer. On peut aller là pour faire des pique-niques. J’ai gardé ces droits dans le contrat de servitudes; c’est inscrit comme des droits préservés. C’est tellement beau! Les gens qui viennent ici, c’est l’endroit qu’ils ont choisi de visiter, c’est sûr », raconte M. Faucher.

Le don lié à la servitude de conservation intégrale lui a donné un visa fiscal, accordé par CVS. Cela permet de compenser la perte de valeur associée à l’interdiction de construire à cet endroit. « On ne se mettra pas riches avec ça, mais sur une période de 10 ans, ça pourrait compenser une bonne partie du manque à gagner lors de la revente », indique-t-il.

Il aura fallu environ une année de démarches avec les différents experts pour instituer la servitude, qui inclut le plan de conservation. « C’est moi qui ai approuvé les limites. J’ai fourni toutes mes contraintes », précise M. Faucher. Il tenait à conserver ses droits de récolte dans la zone de conservation extensive, et ses droits d’usage exclusif autour de la résidence. La demande pour créer une réserve naturelle sur la zone de conservation intégrale a été faite auprès du gouvernement.

Cette forêt mélangée est fréquentée par les hérons, mais aussi par les dindons sauvages, ratons, cerfs, orignaux, etc. Lors de notre départ, une neige lourde tombait tout doucement, rendant ce lieu exceptionnel encore plus paisible.

Éviter la conversion de la forêt

Joël Bonin, vice-président de Conservation de la nature Canada (CNC) au Québec et responsable du volet forestier, indique que sur les quelque 40 000 ha de terres où son organisation et les groupes affiliés ont des ententes de conservation, il y en a 15 % qui sont des terres à vocation forestière productive.

Si l’on souhaite favoriser une meilleure connectivité des habitats, M. Bonin juge qu’il est important de maintenir la production de bois en forêt privée. « Si les règles sont là, aussi bien que les gens puissent continuer d’exploiter leur forêt. Nous nous concentrons sur les endroits où celle-ci peut être convertie en autre chose et ne soit plus un habitat. Nos servitudes servent à ça », explique-t-il.

Le danger de la conversion du lot boisé peut notamment survenir à la retraite du propriétaire, au moment de léguer la terre aux enfants, ou au décès. Parfois, CNC arrive à établir la servitude de conservation avant le legs, mais ça n’est pas toujours possible. Il faut alors s’entendre avec le nouvel acquéreur. L’objectif consiste à éviter la conversion de la forêt en zone d’habitation ou en parc industriel.

La coupe de bois représente un désagrément temporaire et occasionnel, tandis que la présence constante des villégiateurs fait fuir les espèces fauniques, insiste M. Bonin. Son groupe achète des petits terrains sur la route 197 qui relie Rivière-au-Renard, du côté de la péninsule gaspésienne, au parc national Forillon, près de Gaspé.

À cet endroit, des lynx traversent la route trois fois par semaine. « On connait exactement les itinéraires qu’ils empruntent; on a analysé les traverses. C’est une espèce très sensible au dérangement humain, qui est très farouche. Aussitôt qu’il y a des bâtiments, des gens, des odeurs ou du bruit, les animaux s’en vont et ils ne passent plus là », explique M. Bonin.

La héronnière fait la joie des ornithologues. Crédit photo Jacques Sztuke.

Pour en savoir plus
Les options de conservation offertes aux propriétaires de lots boisés.
Le guide pour l’obtention du vise fiscal.

 

Article paru dans la revue Forêts de chez nous, édition de février 2018.