Le Québec compte quelques milliers d’arbres remarquables dispersés sur son territoire. Ces trésors racontent l’histoire de notre patrimoine. Leur hauteur, leur grosseur ou leur port majestueux ne laissent personne indifférent. Suzanne Hardy consacre sa vie à les répertorier.

Certains d’entre vous se souviennent avec nostalgie d’un bel orme gigantesque planté au milieu d’un champ, là où les vaches venaient se protéger du soleil sous son vaste parasol. D’autres ont en mémoire l’histoire que leur grand-père se plaisait à raconter lorsque lui et son frère, bûcherons au godendard, sont arrivés devant un pin d’un diamètre tellement énorme qu’ils se demandaient s’ils pourraient abattre et transporter cet incroyable mastodonte. Il y a aussi ceux pour qui les multiples rendez-vous donnés au pied du vieil arbre du village à la curieuse silhouette ont égayé leur enfance tout en étant la source d’un incroyable imaginaire.

Sous la pression de la colonisation, de l’agriculture et de l’urbanisation, un grand nombre de ces arbres exceptionnels, indigènes ou introduits, sont toutefois disparus. Chaque année, d’autres tombent au combat à cause des incendies, du vent, de la foudre, d’une maladie, d’un ravageur ou des coupes d’arbres. Enfin, certains de ces arbres majestueux ont la chance de traverser les siècles pour finir par disparaître au bout de leur vie. Quelques milliers de spécimens de différentes essences déploient leur saisissante silhouette sur le territoire québécois. Les premiers rangs colonisés, les cimetières, les villages anglophones, les anciens sites de villégiature sont particulièrement pourvus de sujets d’exception. En plus de leur valeur unique, ces arbres sont souvent riches d’une histoire fascinante. Les endroits où il était jadis impossible pour les bûcherons d’aller les prélever sont aussi des sites de prédilection pour dénicher des spécimens imposants.

SUZANNE HARDY
Suzanne Hardy-Berger

La spécialiste des arbres remarquables, Suzanne Hardy, repère ceux-ci avec passion. Il y a 20 ans, elle a fondé Enracinart, un organisme à but non lucratif qui a pour mission de promouvoir et de stimuler la conservation de notre patrimoine végétal. Au fi l des inventaires qu’elle réalise, la phytotechnicienne diplômée de l’Institut de technologie agroalimentaire de La Pocatière répertorie les arbres remarquables puis sélectionne les meilleurs. « J’ai environ 5 000 arbres magnifiques, classés par région administrative, dans ma base de données », estime Mme Hardy. Auteure d’un ouvrage sur les arbres remarquables de la Capitale publié en 2009 et d’un autre sur ceux de Laval paru en septembre dernier, elle travaille maintenant à la préparation d’un livre qui traitera des arbres remarquables de tout le Québec. Consciente qu’il existe des vainqueurs dont elle ignore la présence, autant en milieu public que privé, elle lance un appel à tous.

Si tout va comme prévu, le livre Nos vainqueurs : au coeur des arbres remarquables du Québec sera publié au cours de l’année 2017. Autant que possible, l’auteure Suzanne Hardy désire y présenter tous les arbres remarquables du Québec habité. C’est pourquoi l’organisme Enracinart vous invite à devenir chasseur d’arbres remarquables. Si vous détectez un arbre que vous croyez digne de mention, n’hésitez pas à soumettre sa candidature, avec l’accord du propriétaire. L’information à fournir est la suivante : espèce d’arbre (si connue); circonférence du tronc (elle doit être mesurée à une hauteur de 1,4 m du sol; dans le cas d’un arbre fourchu qui se sépare sous 1,4 m de hauteur, il faut mesurer la circonférence à l’endroit le plus étroit du tronc sous la fourche, ainsi que celle des deux troncs à 1,4 m); localisation précise de l’arbre (coordonnées GPS si possible); nom et adresse du propriétaire du terrain. Remplissez le formulaire de candidature sur le site d’Enracinart, ou faites parvenir l’information à Enracinart, 2200, avenue Maufils, Québec (Québec) G1J 4K1.

QU’EST-CE QU’UN ARBRE REMARQUABLE?
Comment savoir si nous sommes en présence d’un arbre remarquable? « Cette dénomination subjective vient avant tout d’un caractère d’exception qui fait invariablement très forte impression, souligne Suzanne Hardy. L’âge avancé de l’arbre, ses dimensions hors du commun et sa rareté sont déterminants. S’y greffent la beauté de son port ou de sa forme ou sa valeur patrimoniale historique et culturelle.

Pour y voir clair, les experts ont développé un concept de «remarquabilité» des arbres. Les organismes de protection de la nature d’une région ou de l’autre de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, comme le populaire American Forests National Big Tree, s’appuient sur à peu près les mêmes critères pour
inventorier les arbres. Selon l’espèce, chaque individu est classifié d’après le total des points reçus pour chacun des critères.

En 2005, lors d’un mandat de recensement des arbres remarquables se développant dans l’environnement immédiat du réseau de distribution d’Hydro-Québec, Suzanne Hardy a élaboré sa propre grille de «remarquabilité».

Pour déterminer ceux qui remportent la palme, la botaniste tient compte de critères biologiques tels la taille, l’âge et la forme de l’arbre, mais aussi de critères socioculturels comme ses rapports avec un lieu, une communauté ou un événement historique. La zone de rusticité est également un facteur important pour déterminer le caractère exceptionnel d’un arbre puisqu’une essence peut s’épanouir naturellement dans une région et très difficilement dans une autre.

L’âge et les dimensions d’un arbre sont mesurés selon les règles internationales reconnues, soit à partir de comparatifs ou par carottage, et d’après le diamètre à l’épaule (1,4 m du sol).

À CHACUN SA FORCE
«Les Hautes-Laurentides, le nord de l’Outaouais et le Saguenay–Lac-Saint-Jean sont des régions plus propices à la découverte de champions d’essences plutôt boréales telles que le peuplier baumier et le frêne noir, tandis que le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie sont des territoires de choix pour la recherche de spécimens de thuya occidental imposants, jusqu’à 1,5 m de diamètre, et très âgés. Les essences plus méridionales comme le micocoulier occidental, l’orme liège et l’érable noir, quant à elles, sont représentées par des arbres volumineux exclusivement dans les régions de l’Outaouais, de Laval, de Montréal, de la Montérégie et de Lanaudière», fait valoir l’auteure.

peupliers deltoïdes
Les peupliers deltoïdes, souvent issus de petites branches enfoncées par l’humain dans le sol, sont devenus des arbres majestueux, atteignant parfois 2 m de diamètre à la souche. Le volume imposant de ces arbres est inversement proportionnel à leur courte espérance de vie puisque très peu de sujets peuvent vivre jusqu’à 125 ans. (crédit photo: Suzanne Hardy)

À l’image des régions, chaque espèce d’arbres possède ses caractéristiques particulières. Notre plus grand conifère, le pin blanc, peut dépasser 30 m dans une forêt, tandis que les saules blancs ou pleureurs se dressent rarement à plus de 20 m. Ainsi, une dimension intéressante pour une essence en particulier ne l’est pas pour une autre. Il en va de même pour l’âge. Le peuplier deltoïde, considéré comme l’espèce la plus massive au Québec, a une courte vie, mais il peut mesurer 1,8 m de diamètre de tronc à 37 ans. Le bouleau à papier, lui, arrive à maturité vers 70 à 80 ans, et certains bouleaux jaunes ont déjà atteint le demi-millénaire en âge en prenant du volume tout au cours de leur vie.

CHOIX DES ARBRES REMARQUABLES
Parmi les 5 000 arbres remarquables du Québec que Suzanne Hardy a répertoriés dans sa base de données, quels sont les meilleurs? Forêts de chez nous lui a demandé de révéler ses coups de coeur.

• Les plus vieux : des cèdres âgés de 850 à 1 000 ans presque tous accrochés à un fl anc de rocher sur une île du lac Duparquet en Abitibi, à un peu moins de 50 km au nord de Rouyn-Noranda. Il en reste peut-être une trentaine. Leur taille n’a pas en elle-même de quoi attirer l’attention, à peine 2,5 m de haut pour le plus vieux, mais cette longévité sous nos climats est en soi remarquable.

Le pin blanc croît rapidement et atteint parfois des dimensions impressionnantes. La majorité de ces arbres magnifi ques ont été coupés pour l’industrie du bois dans les années 1800.
Le pin blanc croît rapidement et atteint parfois des dimensions impressionnantes. La majorité de ces arbres magnifiques ont été coupés pour l’industrie du bois dans les années 1800.

• Les plus hauts : un pin blanc de 40 m situé à Chelsea dans la région de Gatineau. Un orme d’Amérique de 35 m de hauteur, maintenant disparu, faisait aussi partie de la banque de Mme Hardy.

• Les plus gros : un noyer cendré et un chêne à gros fruits. Le pin blanc répertorié dans sa base de données n’est pas non plus à dédaigner avec son 1,3 m de diamètre.

Dans sa base de données, Suzanne Hardy a classé cette épinette blanche comme la plus impressionnante du Bas-Saint-Laurent.
Dans sa base de données, Suzanne Hardy a classé cette
épinette blanche comme la plus impressionnante
du Bas-Saint-Laurent.

• Les plus grosses épinettes blanches : la plus impressionnante de la province se situe dans les Cantons-de-l’Est et fait plus de 1,24 m de diamètre à la souche et plus de 1,1 m de diamètre à hauteur de poitrine (DHP), mesuré selon les normes à 1,3 m du sol. Le Bas-Saint-Laurent, l’Outaouais, Lanaudière et les Laurentides comptent cinq spécimens régionaux faisant plus de 90 cm de diamètre aux environs du DHP.

• Le plus rare : l’orme liège que l’on retrouve dans l’ouest de la province (Outaouais, Laurentides, Laval, Lanaudière, Montréal et Montérégie). Selon Mme Hardy, cet arbre indigène que l’on voit dans les sols calcaires a été largement décimé par l’exploitation des carrières. De plus, la maladie hollandaise de l’orme entraîne la mortalité des individus les plus âgés. Il est désigné menacé depuis 2005 en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du gouvernement du Québec.

• Le plus majestueux : sans contredit l’orme d’Amérique, dont le nombre a chuté radicalement au cours des ans à cause de la maladie hollandaise de l’orme.

ostryer

• Le grand gagnant: un ostryer de Virginie, situé dans un boisé près du lac Champlain. Cette espèce peut atteindre 20 m. On l’appelle aussi bois de fer, car il est presque impossible à fendre, son bois étant l’un des plus durs de nos essences indigènes. On a raconté à Mme Hardy qu’il fait des étincelles lorsqu’on le coupe à la scie mécanique.

Ce vénérable chêne à gros fruits, qui a vu grandir huit générations de Godin sur la terre qui leur a été concédée vers 1760 à Saint-Eustache, a rendu l’âme depuis peu après avoir produit annuellement une pluie de glands. Mais, en semant ces derniers en bordure de la montée Godin, les jumeaux Marc-André et Pascal cultivent les générations à venir.
Ce vénérable chêne à gros fruits, qui a vu grandir huit générations de Godin sur la terre qui leur a été concédée vers 1760 à Saint-Eustache, a rendu l’âme depuis peu après avoir produit annuellement une pluie de glands. Mais, en semant ces derniers en bordure de la montée Godin, les jumeaux Marc-André et Pascal cultivent les générations à venir.

 

L’érable noir, une espèce dont la situation est très préoccupante au Québec, se réfugie entre autres sur les îles de l’archipel Saint-François de la rivière des Mille Îles, où se trouvent de magnifi ques spécimens comme celui-ci de l’Île aux Vaches.
L’érable noir, une espèce dont la situation est très préoccupante au Québec, se réfugie entre autres sur les îles de l’archipel Saint-François de la rivière des Mille Îles, où se trouvent de magnifiques spécimens comme celui-ci de l’Île aux Vaches.

LOUISE THÉRIAULT, AGR.
COLLABORATION SPÉCIALE

Article paru dans la revue Forêts de chez nous, novembre 2016